Cahiers Victor Segalen, n° 4, Traces alternées de Victor Segalen. Une exploration de sa correspondance (1893-1919)

Cliquer ici pour obtenir le texte au format .pdf

La Chine sous le signe de l’amitié dans la Correspondance de Victor Segalen

Ian Fookes

  • Résumé

L’objectif de cet article est d’apporter une nuance à l’image de l’exote — comme figure solitaire et autonome —, que le poète Victor Segalen valorise dans ses notes pour l’Essai sur l’exotisme, dans ses lettres, et dans la création de son œuvre littéraire et poétique. Nous exposerons d’abord les traces d’un réseau de connaissances visibles dans la correspondance, dans ses journaux, et dans son œuvre littéraire et poétique. Ensuite, nous montrerons la dépendance de Segalen par rapport à ce réseau dont il faisait partie, avant de concentrer notre analyse sur le récit La Tête. Nous mettrons en lumière le rôle que sa femme, Yvonne, jouait au centre de ce réseau. Cette lecture nous permettra de suggérer que pendant ses séjours en Chine, le poète s’appuyait véritablement sur un réseau de connaissances, sur un cercle d’amis et sur sa femme. Finalement, étant donné que le poète tentait de faire de son « esthétique du Divers » son credo, nous proposerons que, tout en se voulant indépendant, il dépendait du réseau dont il faisait partie, et, de surcroît, faisait de l’amitié un grand thème de son œuvre littéraire et poétique. Nous pouvons donc placer la « rencontre de Chine » de Segalen sous le signe de l’amitié, et signaler l’importance de ce thème dans son œuvre littéraire et poétique.

  • Abstract

Victor Segalen: China placed under the sign of friendship in his correspondence

The aim of the present article is to nuance the image of the exote—as a solitary and autonomous figure—, that the poet Victor Segalen valorises in his notes for Essay on Exoticism, in his correspondence, and in the creation of his literary and poetic oeuvre. We begin by tracing a network of acquaintances visible in his letters, his journals and his literary and poetic works. We then demonstrate Segalen’s dependence on this network, before concentrating our analysis on the story, La Tête. We will bring to light the role that his wife, Yvonne, played at the centre of this network. This reading will allow us to suggest that during his sojourns in China, the poet truly relied upon this network of acquaintances, his circle of friends, and his wife. Finally, given that the poet attempted to make his “aesthetics of Diversity” his credo, we will propose that Segalen, while willing himself to be independent, depended upon this network of which he was part, and, more importantly, that he made friendship a major theme in his literary and poetic oeuvre. Therefore, we may place Segalen’s “Chinese encounter” under the sign of friendship and signal the importance of this theme in his literary and poetic oeuvre.

  • Pour citer l’article

Fookes, Ian, « La Chine sous le signe de l’amitié dans la Correspondance de Victor Segalen », dans Guermès, Sophie et Postel, Philippe, Cahiers Victor Segalen, n° 4 : Traces alternées de Victor Segalen : une exploration de sa correspondance (1993-1919), 2021, page [En ligne], https://www.victorsegalen.org (jour, mois, année de la consultation par l’usager).

La Chine sous le signe de l’amitié dans la Correspondance de Victor Segalen

Ian Fookes

Or, il y a, parmi le monde, des voyageurs-nés ; des exotes. Ceux-là qui reconnaîtront, sous la trahison froide et sèche des phrases et des mots, ces inoubliables sursauts donnés par des moments tels que j’ai dit : le moment d’Exotisme.

Victor Segalen, 11 décembre 1908

Le poète Victor Segalen décrivit sa conception des exotes pour la première fois dans ses notes pour l’Essai sur l’exotisme le 11 décembre 1908. L’idée se transforma ensuite au fur et à mesure que sa conception de l’exotisme se concrétisait. Au début, l’exote était conçu comme un type naturel — reconnaissable parmi les voyageurs-nés dans le monde. Et puis, trois ans plus tard, quand Segalen note dans l’Essai que l’exotisme est l’affaire des « grandes artistes », l’exote se transforme aussi : en figure du poète capable de sentir le « Divers ». Dans cette note (datée par sa référence à la stèle Conseils au bon voyageur), le poète développe sa conception des exotes comme ceux qui s’enrichissent par leurs rencontres avec la différence. Ainsi, à l’encontre de ceux qui cherchent à s’enraciner dans une seule patrie, Segalen les attache à l’appartenance aux terres multiples, au voyage. Cette appartenance permet aux exotes de tourner leur regard à rebours, et d’apercevoir leur souche natale comme un monde renouvelé, aperçu dans sa diversité :

L’exote, du creux de sa motte de terre patriarcale, appelle, désire, subodore des au delà. Mais, habitant ces au delà, — tout en les enfermant, les embrassant, les savourant, voici la Motte, le Terroir qui devient tout à coup et puissamment Divers (OC, I : 763, Essai sur l’exotisme).

Dans la même note, Segalen souligne l’importance de Gauguin comme modèle de l’exote, celui qui, peu avant sa mort aux Marquises, « peignait ce rose pâle clocher breton sous la neige » (ibid.). Par la suite, le poète développait sa conception de l’exote, la transformant en figure du poète idéal. L’exote est donc le corrélat de l’idéal du « Divers », la valeur centrale de l’« esthétique du Divers ».

Inspiré par la « sensation du divers » que le jeune poète ressentit en Polynésie, le divers s’écrit en majuscule à partir du 11 décembre 1908. Pour Segalen, la rencontre du « Divers » n’est pas simplement une rencontre avec la différence ou la diversité du monde, mais une confrontation avec l’altérité irréductible de l’Autre, celui qui est reconnu en tant que sujet. Selon Segalen, une telle rencontre provoque un retournement sur soi à travers lequel on se reconnaît dans sa différence par rapport à l’Autre. L’effet de cette reconnaissance de soi et de l’altérité de l’Autre, est, pour ceux qui apprécient ce sentiment de décentrement et de la distance, la revitalisation de tous les sens et de l’expérience du vivant. Pour Segalen, la poursuite du « Divers » devint sa raison d’être et le « Divers » son idéal.

Et pourtant, l’esthétique de Segalen ne se limite pas à la recherche du « Divers ». En 1917, Segalen écrit dans ses notes pour l’Essai :

Le Divers décroît. Là est le grand danger terrestre. C’est donc contre cette déchéance qu’il faut lutter, se battre, — mourir peut-être avec beauté » (ibid. : 775).

Pour le poète, le Divers était en recul dans le monde entier et, faute de mieux, il était nécessaire de le protéger où il existait, et de le recréer où il n’existait plus. Cette situation rend nécessaire la poièsis, c’est-à-dire, la création des œuvres d’art et de la poésie qui laissent apparaître diverses visions du monde, ainsi que le monde perçu dans sa diversité. Dans cette perspective, la rencontre de l’œuvre d’art devient fondamentale au projet du renouvellement du Divers, et donc, ce sont les poètes et, selon Segalen, les « grands artistes » (ibid. : 763) qui doivent s’engager dans un exotisme redéfini comme lutte esthétique contre la déchéance du Divers. Seulement ceux qui sont capables de voir le monde et de transformer leurs visions en œuvre d’art sont capables de résister à la décroissance de la diversité du monde. Une fois encore, nous revenons à la figure idéalisée de Gauguin.

Engagé, désormais, dans cette lutte, Segalen se concevait comme un héros dont l’objectif était de transformer sa vision du monde en œuvre littéraire et poétique : la trace matérielle de son esthétique du Divers qu’il tâchait de vivre. Cette lutte l’emmena vers une carrière d’archéologue. En Chine, en voyage, et en mission archéologique, il se voulait un héros, un exote. Cependant, l’image de l’exote rêvé comme voyageur solitaire et autonome, que l’on trouve dans Équipée par exemple, est trompeuse car ses voyages furent réalisés en compagnie d’Augusto Gilbert de Voisins, puis de Jean Lartigue, sans parler de la main d’œuvre chinoise qui les accompagnaient à chaque étape. L’objectif de cet article est, donc, d’apporter une nuance à l’image de l’exote comme figure solitaire et autonome que Segalen valorise dans ses notes pour l’Essai, dans ses lettres et dans la création de son œuvre littéraire et poétique.

Nous suivrons d’abord les traces d’un réseau de connaissances visibles dans ses lettres, dans ses journaux, et dans son œuvre littéraire. Notre analyse montrera la dépendance de l’exote par rapport à ce réseau dont il faisait partie. Nous nous concentrerons sur le récit La Tête, afin de mettre en lumière le rôle que sa femme, Yvonne, jouait dans ce réseau, avant de suggérer que l’exote, bien que rêvé par Segalen comme figure solitaire et autonome, s’appuyait, en fait, sur un réseau de connaissances et un cercle d’amis. Étant donné que Segalen tentait de vivre selon son esthétique, nous proposerons enfin que Segalen, tout en se voulant indépendant, dépendait de l’amitié de son cercle, et de l’appui de sa femme, Yvonne. Cette analyse nous permettra de placer la « rencontre de Chine » de Segalen sous le signe de l’amitié.

Un réseau de connaissances

Dans sa biographie du poète, Henry Bouillier souligne la valeur symbolique de la découverte par Segalen des outils d’un lettré chinois lors de sa visite dans le quartier chinois de San Francisco en 1902 (voir Bouillier 1986 : 73). Dans « Le Détour de la Chine » — une communication donnée en réponse à la question de ce qui motive Segalen de séjourner en Extrême-Orient — il commence par le fait que Segalen fut breton, c’est-à-dire, qu’il est né en « Chine de l’Occident » (Bouillier 1978 : 95). Le biographe suggère que la Bretagne était un milieu où circulaient habituellement des objets et des histoires de l’Extrême-Orient rapportées par des officiers de la Marine et par d’autres voyageurs, et qu’elle a dû jouer un rôle dans sa décision de partir pour la Chine.

Gilles Manceron, dans sa biographie du poète, reprend ce thème, précisant quelles étaient les figures qui auraient pu influencer ce choix de Segalen de partir vivre en Extrême-Orient. Son chapitre intitulé « La suggestion de la Chine » place le premier voyage en Chine de Segalen sous le signe de l’amitié, car, symboliquement et sur le plan financier, son séjour en Chine a été encouragé et appuyé par ses amis. Manceron souligne surtout l’influence d’autres écrivains et d’officiers de la Marine qui l’avaient devancé dans une telle aventure. Il affirme, ainsi, l’influence centrale de Charles Bargone (Claude Farrère) pour l’Indochine et le médecin Louis Laurent pour la Chine. Il décrit aussi l’importance de Pierre Richard, un autre médecin qui passa deux années en Extrême-Orient pendant que Segalen vivait en Polynésie. Enfin, le biographe signale l’influence de son propre grand-père, Henry Manceron qui, ayant retrouvé Segalen à Brest en février 1908, l’informa sur ses nombreux voyages en Extrême-Orient, dont le plus notable fut sa participation à l’occupation de la Cité interdite à Pékin lors des événements des Boxers pendant l’été 1900 (voir Manceron 1991 : 257-61).

Manceron signale l’existence d’un véritable réseau de connaissances qui s’étendait de la Bretagne jusqu’à l’Extrême-Orient (le Japon, la Chine, l’Indochine). Ce réseau d’Européens qui voyagèrent et séjournèrent en Asie se compose d’officiers de la Marine, de médecins, de missionnaires, ainsi que de diplomates et de leurs épouses. Parfois, des anciens officiers de la Marine réussirent à quitter la Marine pour créer des entreprises en Asie. Toutes ces figures forment le réseau social à travers lequel Segalen allait vivre sa « rencontre de la Chine ». Dans cette perspective, Manceron signale le fait qu’avant sa formation en langue chinoise et dans le domaine archéologique à Paris, de mai 1908 à avril 1909, Segalen avait nourri son imaginaire par son environnement sous l’influence de l’Extrême-Orient, par ses lectures du Livre de la Voie et de la Vertu (Dao de jing), et par son contact avec les membres de ce réseau de connaissances qui lui fournirent des histoires de première main. L’image de l’Extrême-Orient, chez Segalen, se concrétisait ainsi dans son imaginaire et lui inspira l’idée de se faire affecter en Chine.

Après avoir fêté la naissance de son fils Yvon, en avril 1906, Segalen publie Les Immémoriaux. L’accueil du roman est décevant, et il ne remporte pas le prix Goncourt un moment convoité. En dépit de son insuccès, l’année suivante le poète publie « Dans un monde sonore » dans le Mercure musical, un récit qui lui permet d’entamer sa collaboration avec Debussy sur Orphée-Roi. En novembre 1908, sous prétexte de suivre un cours médical sur « diverses maladies mentales » (Segalen 2004a, p.783) à l’asile Sainte-Anne à Paris — en réalité avec l’intention explicite de préparer l’examen afin de devenir élève-interprète en Chine —, Segalen déménage, laissant sa famille à Brest comme prévu, et commence une formation en langue chinoise à l’École des langues orientales, en suivant les cours d’Arnold Vissière. En même temps, il suit au Collège de France les cours donnés par Édouard Chavannes, le maître de l’archéologie française moderne. Cette double formation orienta Segalen vers une connaissance de la langue chinoise classique, et vers la pratique, alors récente, des fouilles archéologiques. Segalen voyait dans sa formation l’occasion d’échapper à Brest et à Paris, c’est-à-dire, à la vie bourgeoise en métropole, y compris à ses cercles littéraires. Dans une lettre du 20 mai 1909 à Jules de Gaultier, il déclare ses intentions :

Je me suis donc mis à l’étude du chinois. Tout compte fait, j’attends beaucoup de cette étude, en apparence ingrate ; car elle me sauve d’un danger : en France, et mes projets actuels, menés à bout, quoi faire ensuite, sinon « de la littérature » ! J’ai peur de la recherche du « sujet ». Alors que jusqu’ici c’est toujours le sujet qui s’est imposé et m’a tenaillé jusqu’à son avènement, ou son enkystement provisoire. En Chine, aux prises avec la plus antipodique des matières, j’attends beaucoup de cet exotisme exaspéré (C, I : 774).

Ses nouvelles connaissances érudites dans le domaine de la langue chinoise et de l’archéologie rendaient insupportables les impressions typiques du discours populaire sur l’Extrême-Orient. Segalen pensait donc renouveler ces regards convenus de sorte que la Chine allait faire partie de son exotisme. Tout comme il l’avait fait en Polynésie, il imaginait réinventer l’exotisme par le renversement de la perspective habituelle, cette fois celle du « roman chinois », un sous-genre du roman exotique. Dans ses notes datées du 9 juin 1908, Segalen se demande :

Pourquoi ne pas le faire, plus tard pour ce que je verrai : un temple, une foule chinoise, un fumeur d’opium, un cérémonial d’ancêtre, une grande ville aux millions d’habitants… pour tout ce qui serait par ailleurs d’un exotisme usé, mais qui, de ce fait, prendrait une face absolument nouvelle. » (OC, I : 746, Essai sur l’exotisme).

Nous voyons ainsi que le poète considérait la Chine comme une ressource d’images supplémentaires pour son exotisme à venir. L’étude de la langue chinoise faisait donc partie de sa réflexion sur l’exotisme qui, pendant cette période précédant son départ pour la Chine, s’est orientée vers la « sensation du Divers » et sa conception de l’exote.

Dans cet optique, on constate que Segalen ne renonçait pas à ses anciens projets sur l’Océanie, mais au contraire, lors de son étude du chinois et de l’archéologie, il reprend ses notes pour l’Essai et par ailleurs travaille sur un nouveau projet, Le Maître-du-Jouir, un texte qui se base sur la figure de Gauguin et sur son « rendez-vous manqué » avec le peintre. La Polynésie jouait donc un rôle fondamental dans son approche de la Chine. Dans une lettre du 23 décembre 1908 à Max Prat, il remarque :

Car la Chine, pour absorbante qu’elle soit, ne me spécialisera pas, je l’espère. Ou même alors, et surtout, l’Océanie me donnera-t-elle toujours le fort plaisir immédiat et palpable qui rafraîchit la desséchante intellectualité. » (C, I : 807).

Pendant cette période charnière à Paris, nourri par sa formation, par ses souvenirs de la Polynésie et par ses nouveaux projets, Segalen développait sa conception de l’exotisme, en l’envisageant pour la première fois comme « une esthétique du Divers ».

Dans la même lettre à Max Prat du 23 décembre 1908, il décrit son ami, Louis Laloy, cofondateur du Mercure musical, polyglotte, écrivain et sinologue, selon des termes de cette nouvelle conception de l’exotisme :

Un ricochet heureux de l’amitié Debussy, c’est l’amitié Laloy (du Mercure musical). Laloy est, avec toi, la sensibilité la plus harmonique à la mienne que j’aie pu (sans changer de sexe). Nos conversations ne peuvent être discussions, mais l’énoncé alternant de similitudes. J’aimerais infiniment vous réunir. Il se trouve que nous avons de commun à peu près tout, y compris le chinois, la myopie (qu’il exagère), le respect de l’opium, d’autres choses encore. Et ceci surtout que je le mets au rang des « Exotes », dirais-je, d’un mot que je voudrais imposer dans mon Essai rêvé et déjà défini. Exote, celui-là, qui, Voyageur-né, dans les mondes aux diversités merveilleuses, sent toute la saveur du divers. » (C, I : 806-7).

Segalen était ravi de se trouver en compagnie de figures qu’il estimait nobles et érudites, d’hommes sensibles à la sensation du Divers. Il souligne l’importance de ces relations amicales qu’il ressent comme des rapports harmoniques.

Il fait la connaissance de Laloy à travers son amitié avec Debussy. Grâce à son amitié avec l’officier de la Marine Charles Bargone qui publia, sous le pseudonyme Claude Farrère, Les Civilisés (1906) — un roman qui exposait la décadence parmi les Européens vivant à Saïgon — il fait celle d’Augusto Gilbert de Voisins, un écrivain et voyageur qui disposait d’une fortune dont il avait hérité. Dans une lettre à Max Prat du 10 décembre 1908, il remarque à propos de Bargone :

Il possède, en son ami Gilbert de Voisins — qui devient lentement le mien — un être noble, dont certaines proses t’enthousiasmeraient, et chez qui je passe des nuits délicates, à dire, à entendre, ou à composer des mots assemblés et rythmés selon l’heur et le caprice. Bargone « fume », et l’Odeur sert de soutien aux pensées les plus évaporées. Je ne sais ce qu’il adviendra de cette liaison. Je te la dis, pour qu’elle devienne plus tard, tienne, ainsi que tout ce que j’aime. (Ibid. : 804-5).

Cette lettre nous permet d’imaginer le mode de vie de Segalen qui fréquente ses amis et avec qui il tisse des relations intimes à travers des vers échangés et des bribes de collaborations poétiques. Dans l’ambiance de liberté, où s’échangent idées et créations poétiques, Segalen jouissait du genre d’amitié qu’il avait découverte pendant sa vie à Bordeaux et à Toulon en compagnie de Max Prat. Dans cette lettre, Segalen exprime à son vieil ami son désir de partager sa nouvelle amitié. Nous voyons donc que Segalen cherchait à s’entourer d’un cercle d’amis grandissant, mais qui se fondait sur des relations particulières et intimes, où le sens esthétique joue un rôle capital. En somme, Segalen cherchait des relations avec d’autres poètes et écrivains, avec d’autres voyageurs et artistes. L’exote cherchait à construire un cercle composé d’autres exotes.

Grâce à la générosité de Gilbert de Voisins, Segalen allait être capable de faire un premier voyage à l’intérieur de la Chine, de juin 1909 à mars 1910, qu’il réalise en sa compagnie. Leur voyage se fondait sur leurs besoins mutuels : Segalen allait utiliser ses connaissances en langue chinoise, alors que Voisins allait financer leur itinéraire.

Comme prévu, Segalen a été reçu à l’examen qui lui a permis d’être affecté en Chine en tant qu’élève-interprète. Il quitte la France le 25 avril et passe par Ceylan, Hongkong et Shanghaï, avant d’arriver à Pékin le 12 juin. Voisins, de son côté, a pris le Transsibérien, et retrouve Segalen le 5 juillet 1909.

En passant par Aden, Segalen reprend sa réflexion sur Rimbaud, puis le bateau fait une escale à Ceylan où il se retrouve sur les traces de Claudel dont il se rappelle la prose de Connaissance de l’Est. Tout comme il l’avait fait lors de son retour d’Océanie, il aborde des endroits doublement, par le réel et par leur description poétique dans l’imaginaire occidental. Dans une lettre à Yvonne du 29 avril 1909, il remarque :

Il est évident que Claudel pèse actuellement beaucoup sur moi. Je ne m’en effraie pas. Il me faut des sortes de tremplins dont je m’évade ensuite : tel Maeterlinck et Orphée. J’ai esquissé, hier, devant la Crète, ma première prose Exotique. » (Ibid. : 840).

Segalen considère ainsi Claudel comme un stimulant pour la création de son œuvre propre, admirant le grand poète de son temps dont le statut allait l’obliger à lui rendre visite dès qu’il arrivera à Tianjin (Tien-tsin), une ville située à trois heures de Pékin par le chemin de fer, où Claudel occupait un poste diplomatique.

De cette première rencontre, Segalen retient dans sa correspondance le fait qu’ils ont parlé longuement à propos « du milieu littéraire parisien » et de Rimbaud, et qu’ils avaient épuisé, d’une certaine manière, les lieux communs. Segalen découvre aussi que Claudel, dont la prose semble avoir subi l’influence de la langue chinoise, ignorait tout du chinois. Nous soulignons ce détail parce qu’il aurait dû mettre en garde Segalen à l’égard de tout renseignement entendu en métropole à propos de la Chine. Et, en effet, peu après son arrivée en Chine, Segalen se rend bien compte que les informations qu’il avait sur ce pays, ainsi que celles qui lui sont fournies sur le terrain étaient peu fiables et avaient toujours besoin d’être vérifiées. Dans une lettre du 30 juin 1909, il donne à Yvonne le conseil suivant :

Une fois de plus, prendre pour maxime de ne rien accepter sur la Chine que l’on n’ait vérifié soi-même. Si on ne le peut faire, eh bien, ni croire, ni ne pas croire, et se réserver une attitude mixte. » (Ibid. : 907).

On remarque à cet égard que, sur le terrain, la Chine constituait un lieu réel dont les informations peu fiables et souvent lacunaires, loin de nourrir le mythe de l’altérité et du mystère entretenu dans l’imaginaire occidental, posaient un problème pratique à résoudre. Dans son œuvre poétique et dans ses textes romanesques, Segalen recourt parfois au trope de la Chine comme un pays mystérieux, mais dans ses textes archéologiques, il distingue explicitement les connaissances établies ou vérifiées et celles qui restent à vérifier ou qui demeurent inconnaissables.

Ce genre de distinction — par rapport aux textes archéologiques du cycle chinois — fait écho à celle que Segalen cherchait à faire en ce qui concerne son œuvre et ses relations amicales. Dans une lettre à Yvonne du 16 juin 1909, il décrit ainsi les O’Neill, connaissance qu’il retrouve pendant deux jours à Tianjin :

O’Neill n’a pas bougé d’un cran : déhanché, sans façons, très bon camarade. Sa femme : petite, pas jolie mais pas laide, fort intelligente. Son installation trop étroite, pas d’esthétisme. Ses convives foisonnent au hasard des invitations impromptues : Bourboulon, doux et aimable, le commandant de Fougère, maritime brestois ou lorientais, terne, et Béra, le très curieux Béra, face rasée, de beaux yeux, queue à la chinoise arrangée à la Louis XV, extrêmement sympathique à première vue. (Ibid. : 888).

Cette description brève nous permet d’entrevoir le regard critique que Segalen portait sur autrui, en particulier sur les personnes qu’il rencontrait en Chine, à l’intérieur de son réseau de connaissances lié à la Marine, réparties entre les milieux littéraires et le monde des affaires. Les O’Neill (Jean et Andrée) sont des figures importantes dans la vie de Segalen et ce sont des amis. Mais leur désaccord sur la question de l’art saute aux yeux, et Segalen souligne l’écart qui existe entre O’Neill, l’ex-officier de la Marine devenu homme d’affaires en Chine, et le médecin devenu poète, alors élève-interprète à Pékin. Lors d’un dîner chez eux, dans la même lettre à Yvonne où il avait rapporté sa rencontre avec Claudel, Segalen raconte ceci : alors qu’O’Neill, qui le connaissait aussi, se montre « vif sur ses jugements » à propos du diplomate, Segalen prend « un ton froid et coupant » pour déclarer qu’il « ignorait le consul et l’homme d’affaires, en Claudel » mais qu’il « admirait profondément l’artiste », ce qu’« O’Neill a prétendu “ne rien comprendre” » (ibid. : 890). Et Segalen de poursuivre :

Je me suis refusé à rien lui expliquer, n’étant pas apôtre, et n’ayant nul besoin de faire partager mes compréhensions. Ça a fait mouche, un moment, pendant lequel j’ai mesuré le bon marché éternel que je ferai toujours du côté affaires, quand par hasard, par malheur ou par bonheur, le côté esthétique se trouvera en balance. (Ibid.).

L’anecdote racontée par Segalen nous montre que le poète se situait dans ses relations avec autrui comme un poète qui savait apprécier les qualités poétiques chez les autres, ce qui implique aussi qu’il méprisait parfois d’autres qualités, comme celles d’un homme d’affaires. Cette distinction, que semble démentir toutefois sa propre tentative de commercialiser le sérum marin de Quinton, marque l’attitude hautaine et esthétique de Segalen. Dans sa correspondance, nous entendons avec clarté sa voix critique qui évaluait ses contemporains littéraires et les diverses personnes qu’il rencontrait lors de son séjour. À cet égard, ce récit est important à titre d’exemple parce qu’il montre que le poète croit entrevoir la personnalité des autres et qu’il pense pouvoir les juger de façon très pratique. En même temps, cette façon d’évaluer les gens n’excluait pas la possibilité d’apprécier l’artiste chez quelqu’un, même s’il était diplomate. Dans cette perspective, nous voyons que la Chine dans laquelle Segalen séjournait était peuplée de gens dont le poète appréciait la complexité, tout en les jugeant selon ses critères esthétiques. Il cherchait des exotes et des poètes, tout en évitant les fonctionnaires et les gens qui étaient trop liés à la vie des Légations. Le fait qu’il conserve des relations amicales avec les O’Neill, par exemple, tend à prouver que, sur le plan social, il jouissait en Chine d’une vie riche et variée, même avec des personnes qui ne partageaient pas ses valeurs esthétiques.

Une figure de l’exote : Augusto Gilbert de Voisins

Dans sa correspondance, Segalen parle de la qualité de ses relations amicales, ainsi que de la qualité de ses amis : ces jugements marquent certes sa préférence pour les exotes, mais l’écrivain n’insiste pas sur une vision commune du monde qu’il devrait nécessairement partager avec ses amis. Il remarque la diversité des goûts littéraires parmi ses amis, de même que dans la qualité de leurs visions poétiques propres. Dans une lettre à Jules de Gaultier du 23 septembre 1909, il note ainsi, à propos de son compagnon de voyage Augusto Gilbert de Voisins : « L’isolement serait extrême — et je le crois, insupportable — si je n’avais, en mon ami Gilbert de Voisins, le plus rare et le plus cher des compagnons. (C, I : 1005).

Voisins est, à ses yeux, un compagnon de voyage parfait. Il note, à plusieurs reprises, le contentement qu’il éprouve à être en sa compagnie, décrivant leur relation sur le mode du divers — l’entente sur le fond s’accompagne d’une discordance dans leurs goûts :

Ce côte à côte perpétuel, plus précis, plus obligé, plus cerné que n’importe quelle coexistence antérieure, aurait pu avoir des ombres, et je n’y ai trouvé qu’affection profonde et entrain plein de constante gaieté. Ceci tient à une entente parfaite, et aussi à une autre part de discordance non moins profonde. L’entente de fait sur toute la littérature, hormis le classicisme, qui m’épouvante ; et le discord sur toute la musique. Puis la réconciliation s’opère sur le terrain catholique, et de cette façon : mon ami a été protestant assez nominal jusqu’à l’âge de quinze ans, et de lui-même il s’est tourné vers la forme Romaine. Ceci l’a, tout d’abord, sauvé à jamais du danger rationaliste. Ensuite, il s’est créé par là un Bovarysme tout à fait adapté à sa condition de parfait gentilhomme et d’excellent Français. (Ibid.).

Après l’arrivée de Voisins et avant le grand départ pour l’Ouest de la Chine, Segalen écrit à Yvonne, le 7 juillet 1909 :

Hier a été fort doux. La matinée s’est passée à causer. Je ne sais jusqu’à quel point l’« histoire » que m’a froidement racontée Augusto est exacte, mais elle est délicieusement imaginée, et fort bien dite pour me faire accepter tout ce voyage : ayant questionné son gérant sur l’état de sa fortune pour cette année, et ayant exprimé le désir de réduire sa maison de Paris, Augusto se serait vu répondre que les trente mille francs que nous avons ici en banque à Pékin, et qui sont la mise de fonds du voyage, n’entament pas ses rentes habituelles, et ne sont qu’un gain sur des opérations de banque ; et que, dans deux ou trois ans, il pourra consacrer ce superflu à acheter un terrain de chasse en Camargue. (Ibid. : 911).

Segalen rapporte leur dialogue, soulignant la « merveilleuse délicatesse » de son ami et son art de la « mise en scène » dans sa façon d’emprunter le « ton bourru d’un conseiller de famille » pour qu’il soit modéré dans ses dépenses de voyage, afin de pouvoir fournir à Yvonne et au « petit » [Yvon] un certain train de vie quand ils seront en Chine (ibid. : 911-2). Il apprécie la qualité de leur dialogue, la noblesse et le tact de son ami, et prend plaisir ensuite à raconter à son tour (dans la lettre adressée à sa femme) la naissance de leur amitié qui se fonde sur cette capacité de communiquer avec délicatesse :

Ceci, et bien, bien d’autres choses, me convainquirent de ce qui me paraissait probable, qu’Augusto est une des rares personnes desquelles je saurais consentir à accepter un service et qui saurait me le rendre — parce qu’il en a l’habitude, auprès de ses plus hauts amis et qu’il le fait méthodiquement, sans folies, mais sans restrictions (Ibid. : 912).

Bien entendu, ce qui joue dans cette relation est la question pécuniaire et, plus précisément, le fait que le voyage n’aurait pas été possible sans le financement de Gilbert de Voisins. Mais ce que Segalen appréciait, et que nous soulignons, c’est aussi l’attitude pleine de tact et de délicatesse de Voisins, comme il le répète dans une lettre à Yvonne, datée 21 juillet 1909, au début de leur voyage :

Nous causons beaucoup littérature, Augusto et moi. Nous alternons la lecture de nos notes. Il s’est confirmé ce que nous avions tous trois prévu, que nous ne marchons jamais sous les mêmes avenues verbales, et que nous pouvons beaucoup nous compléter sans nous gêner et sans nous nuire (Ibid. : 927).

Ce détail est important parce que Segalen souhaitait vivre dans un milieu social composé de poètes, d’écrivains et de voyageurs qui possèdent une érudition accomplie et une certaine noblesse d’âme, à l’image de certains personnages qu’il met en scène dans son roman René Leys, à l’abri d’un monde extérieur dominé par les hommes d’affaires et les événements politiques.

Ce que Segalen apprécie chez ses amis et surtout chez Voisins est leur regard d’esthète, c’est-à-dire, leur capacité de voir. Avant de quitter Pékin, Segalen et Voisins font un peu de tourisme. Ils se promènent à cheval et visitent ensemble le Temple de la Terre, le Temple du Ciel, le mur de la Cité interdite. Segalen écrit à Yvonne, le 9 juillet 1909 :

Il aurait pu se faire qu’Augusto fût irrémissiblement réfractaire à l’art chinois. Il n’en est rien. Sans emballement précipité, il sait voir ce qui demande à être vu sous un jour extrême-oriental. Il sait voir et admirer (Ibid. : 914).

Cette capacité de « voir » appartient au regard de l’esthète que Segalen associe à l’exote. Pendant sa formation à Paris, au moment où il reprend ses notes pour l’Essai sur l’exotisme dans l’anticipation de son séjour futur, il précise sa conception de l’exote qui s’affirme dans sa capacité de sentir le Divers et de voir. Après quelques mois de voyage, à Nankou (Nan-k’eou), le 22 janvier 1910, il formule une prise de position esthétique, en évoquant ce qu’il attend de sa rencontre avec la Chine (la lettre à sa femme mérite d’être citée intégralement) :

« LE LIVRE SUR LA CHINE »

De quelle tarentule sont-ils donc piqués ! « L’âme chinoise » ! « La Chine en main » ; « Toute la Chine en trois cents pages » … Reportons ces titres en Europe, à la France, et savourons leur ridicule précis ! Esprit de Reclus et traité d’instituteurs ! Puis, cette obstination, après avoir (non pas sans profit ni finesse toujours) regardé le Chinois, cet entêtement à vouloir fixer à jamais, et ce qu’il est, et ce qu’il n’est pas ! Stupidité audacieuse et boiteuse ! Définir, cataloguer, limiter, classer ! Tout d’abord, toute affirmation chinoise (ou autre, n’est-ce pas) appelle sa négation même… Et dans quel but ? Que ce jeu m’indiffère ! Ceux qui l’ont joué furent des gens qui croyaient avoir tout dit en prononçant leurs arrêts comiques. Je crois n’être pas de ceux-là.

Mais non ! Il s’agit de faire voir. Il s’agit, non point de dire ce que je pense des Chinois — (je n’en pense à vrai dire rien du tout) — mais ce que j’imagine d’eux-mêmes ; et non point sous le simili falot d’un livre « documentaire » mais sous la forme vive et réelle, au delà de toute réalité, de l’œuvre d’art. (C, I : 941-2). 

Segalen précise la nature de sa vision de la Chine, la situant à l’encontre de celle des journalistes, des écrivains-voyageurs, et des sinologues. Il définit sa tâche, en tant que poète, comme celle de faire voir à son lecteur sa vision de la Chine. Le vrai poète est donc celui qui sait voir le pays avant de se montrer capable de faire voir aux autres sa vision. Le poète est « clairvoyant » au sens où, à travers ses paroles, il sait créer une vision qui sera accessible à autrui.

Dans son roman René Leys, le protagoniste remarque avec ironie que, parmi ceux qui avaient réussi à obtenir une audience au Palais — pénétrant ainsi les murs de la Cité interdite —, la plupart n’en ont rien vu parce qu’il leur manquait la capacité de voir avec un regard d’esthète :

Mon grand regret reste d’être arrivé trop tard en Chine. Je côtoie tous les jours des gens qui, le temps d’une audience, sont entrés là, et ont pu l’apercevoir. Je doute, d’ailleurs, qu’ils aient su bien voir (OC, II : 468, René Leys). 

Segalen réserve ce pouvoir de voir et faire voir aux poètes et aux exotes, ceux-là qui savent voir, comme Rimbaud, Claudel, Laloy ou Voisins. Pour le poète, c’est un don naturel, une qualité propre au voyageur-né. Or, cette qualité est précisément celle qu’il reconnaît aussi chez ses amis, qui sont le plus souvent des poètes.

Lettres de Chine et le premier voyage en Chine (1909-1910)

Entre juillet 1909 et avril 1910, avant de commencer son stage d’élève-interprète à Pékin, Segalen entreprend un voyage à l’intérieur de la Chine avec Voisins. Ils quittent Pékin le 9 août. Leurs étapes sont marquées par des nuits passées chez des missionnaires et dans les auberges chinoises. Ils portent leurs provisions avec eux et voyagent tantôt à pied, tantôt à cheval, tantôt naviguent sur le Grand Fleuve, le Yangzi, dont ils affrontent les rapides. Ils sont partis de Pékin et arrivent le 24 octobre à Lanzhou (Lan-tcheou), dans l’ouest de la Chine. Leur périple est fait de rencontres avec des Européens, dont la plupart étaient des missionnaires qui leur offrent l’hospitalité. Le 17 août, à Wutai shan (Wou-T’ai-Chan), Segalen remarque : « Les auberges chinoises seraient assez immondes si nous n’avions pas avec nous cuisine et ustensiles. Mais ainsi elles sont bien » (C, I : 965, à Yvonne).

Segalen écrit trois lettres par semaine pendant son voyage, et dans sa correspondance, il inclut des passages pour son « roman chinois », Le Fils du Ciel, et des commentaires sur ses projets, comme La Tête et Stèles. Dans ces lettres qui sont toutes adressées à Yvonne, il indique rigoureusement les passages de celles qu’il veut qu’elle transcrive et qu’elle fasse circuler auprès de la famille et de leurs amis. Il circonscrit ainsi ce qui allait devenir le butin poétique de son voyage, dont il entend informer ses connaissances en France. Reliée de la sorte au monde littéraire français, sa correspondance superpose au monde chinois qu’il découvre un monde parallèle, constitué par un réseau d’amitiés personnelles et littéraires, auquel il appartenait. En somme, Segalen et Voisins habitaient leur imaginaire européen en pleine Chine réelle.

Dans une lettre du 8 septembre, Segalen rapporte qu’il a lu son récit La Tête à Voisins, mais que ce qu’il souhaiterait bien davantage, c’est l’écoute et le retour de sa femme : « Que tu me manques pour deviner à demi-ligne, à demi-mot, tout ce que je sens autour de quelque chose en puissance de devenir ! » (Ibid. : 987). Ainsi, le rôle que joue Yvonne s’affirme : elle se trouve au centre de ce réseau, en tant que lectrice et correspondante qui participait activement au dialogue concernant les manuscrits de son époux.

Continuant au sud jusqu’à Chengdu (Tcheng-dou-fou, le 5 décembre), ils descendent le fleuve Yangzi jusqu’à Chongqing (Tchong-king, le 31 décembre) où ils retrouvent par hasard le Doudart de Lagrée qui les accueille à bord. Segalen y retrouve Jean Lartigue, officier de Marine qu’il avait rencontré lors de sa jeunesse à Bordeaux, et l’ami de ce dernier, François Fay. Il note : « Nous sommes tombés sur les réceptions du premier janvier, essuyées avec courage, et tempérées d’ailleurs par la présence de la jeune Marine » (C, I : 1071, à Yvonne, 2 janvier 1910). La rencontre fortuite leur permet de descendre le Grand Fleuve jusqu’à Shanghaï, puis, profitant du temps qu’ils avaient gagné en descendant en bateau, ils décident de faire une équipée au Japon. Segalen ne s’intéressera guère au Japon et leur voyage ne suscite aucun projet littéraire nouveau. Ainsi, Segalen ne voyage pas seul, mais toujours en compagnie de Voisins, en contact avec sa femme, et, de surcroît, au sein d’un réseau de connaissances qui suscitait des retrouvailles et des rencontres parmi des Occidentaux.

Pendant que Voisins et Segalen voyagent en Chine, Yvonne reste à Brest où elle s’occupe de leur fils Yvon, gère la correspondance de son mari, et prépare son propre départ pour la Chine. Les Lettres de Chine publiées en 1967 chez Plon rassemblent les lettres écrites par Segalen à sa femme lors de son voyage de 1909-1910. Elles s’apparentent à des feuilles de route, et pourtant elles ne constituent pas seulement un journal de voyage. Si, selon Bouillier, les Lettres de Chine forment une longue lettre d’amour, pour Marie Dollé, auteure de la biographie littéraire Victor Segalen, le Voyageur incertain (2008), ce texte dévoile plutôt le fait que le poète passait la plupart de son temps non seulement loin de sa femme « aimée », mais en compagnie de son ami, Augusto. Ces deux perspectives peuvent être justifiées par un passage comme le suivant :

Augusto persiste à demeurer le meilleur des compagnons de route. Je suis mille fois heureux que vous vous soyez ainsi connus avant son départ, car je suis ainsi — quelquefois même précédé par lui — arrivé à te mélanger à toutes nos routes, à toutes nos étapes. Tu ne me quittes pas, ma toute aimée. Ces journées-ci, précisément, seront de celles que nous revivrons ensemble. Elles n’ont eu que ce défaut, c’est de se placer à l’arrivée du courrier du jeudi, que je ne trouverai donc, à Pékin, que demain dimanche. Comme la nuit va me paraître longue ! » (Ibid. : 944-5, à sa femme, 31 juillet 1909).

Malgré le fait que ce genre de passage suscite une certaine ambivalence, la relation avec Yvonne est triangulaire dans le sens où Segalen travaille avec Voisins à son côté, tandis que sa femme n’est présente que dans ses lettres et dans son imaginaire. Selon Marie Dollé, même si Segalen affirme éprouver la présence d’Yvonne dans ses lettres, celle-ci reste néanmoins absente physiquement, et bien que sa collaboration ne soit pas sans importance, la relation réelle se situerait entre les deux voyageurs. Selon nous, au contraire, les Lettres de Chine montrent que Segalen croit au pouvoir de ses lettres — et à la force de sa parole même — au point de « convoquer » Yvonne avec lui sur les routes de la Chine. Ses lettres constituent ainsi une tentative pour combler une distance qu’il avait créée lui-même par la poursuite de son aventure en Chine. Elles doivent être capables de faire voir à sa femme les paysages qu’il traverse, qu’Yvonne, de son côté, doit être capable de voir à son tour. Du point de vue de Segalen, Yvonne doit être à même d’imaginer les étapes du voyage à la lecture des lettres qu’il lui adresse, car celles-ci doivent servir de tremplin à son imagination. Cela faisant, elle devient son Eurydice : elle sait écouter le chant d’Orphée. Dans cette perspective, Yvonne se révèle elle-même un poète doué de clairvoyance, sachant entendre la voix lointaine de son époux. L’absence peut être comblée, du point de vue de Segalen, par la correspondance fidèle et par le pouvoir des mots.

La Tête ou le rôle d’Yvonne dans son cercle d’amitié

Outre ses lettres régulières, Segalen a dédié un récit à Yvonne qui se base sur une aventure vécue lors de son premier voyage en Chine. Dans La Tête, Segalen met en scène une soirée qui ressemble à celle que fréquentaient les membres de ce réseau de connaissances dont il est question dans cet article. La nouvelle donne ainsi l’impression de participer à une de ces soirées où l’on raconte des récits sur « l’Extrême-Orient » entre amis. Mais elle expose aussi la relation intime que la figure du poète, qui assume la fonction de narrateur, peut établir avec son auditeur. La Tête constitue une sorte d’initiation à l’univers du poète qui, selon l’analyse de Noël Cordonier, instaure une relation qui situe le poète comme « un autre à la fois étrange, familier, proche et distant. » (Cordonier 1996 : 230) La Tête expose ainsi la relation idéale qui peut exister entre le poète et son auditeur, une relation qui repose d’une part sur le pouvoir du poète de faire voir à son lecteur ou son auditeur sa vision des choses, et d’autre part sur la capacité du lecteur ou de l’auditeur de la voir à son tour. Segalen reprend ainsi cette relation symbolisée par Orphée et Eurydice, celle qui se fonde sur le désir mutuel d’entendre et d’être entendus.

Dans le récit, Robert et Régis, deux voyageurs récemment revenus de Chine racontent les anecdotes qui leur sont arrivées pendant leur voyage. Madame Jeanne Ravais, l’hôtesse du salon, et son invitée, Annie, écoutent Robert et Régis, qui offrent deux versions différentes de leur voyage. Régis accepte « avec bonne volonté » de raconter « une longue disette et quelques illusions, [au sujet de ce dont] deux mâles perdus là-bas, pouvaient s’accommoder ». Mais dans le texte, Segalen élude la parole de Régis parce qu’elle aurait été l’exemple du récit convenu qui se raconte habituellement au retour d’un voyage en Chine. En racontant ce genre d’anecdotes, le narrateur aurait cherché à ravir ses interlocuteurs par des descriptions exotiques des « petites princesses aux petites bouches rondes, aux très petits yeux, aux plus petits pieds… » (OC, I : 796). Le dialogue entre ces deux hommes expose la complicité des voyageurs qui jouissent de plaisirs exotiques que leurs auditeurs ne peuvent qu’imaginer, de même que la banalité, selon Segalen, des conversations de ce genre. Mais, de façon inattendue, Annie semble transgresser les conventions lorsqu’elle dit qu’elle aimerait bien voir ces filles chinoises, ce qui suscite l’embarras chez Madame Ravais. Quand Robert annonce qu’il va raconter une autre histoire, Régis quitte le cercle avec « une impolitesse qui parut à la fois volontaire et douloureuse » (ibid.), en disant qu’il ne voulait pas écouter l’histoire de Robert qu’il connaissait déjà. 

Le conflit entre Robert et Régis est plus profond qu’il ne le semble d’abord. Régis est un homme qui « numérote » « compare » et « décide », celui qui refuse l’expérience mystique que Robert souhaite raconter. Ainsi, Segalen établit une opposition entre Régis, un homme de raison qui refuse la révélation religieuse, et Robert, un romantique qui souhaite la raconter.

Segalen prépare ainsi les étapes de l’initiation dans le récit que Robert allait raconter en regardant un « manuscrit touffu ». Au milieu du salon, son héros attire l’attention des autres invitées qui l’entourent en leur posant des questions tout en offrant leurs commentaires sur des possibilités du récit. Robert prépare son aventure qui raconte comment il a volé la tête d’une statue bouddhique dans un temple sur le mont sacré de Wutai shan (Wou-T’ai-Chan). Madame Ravais, quand elle apprend que le récit porte sur une statue bouddhique, s’exclame : « Très bien très bien ! Je comprends tout, j’ai assisté à la… voyons… à la Messe bouddhiste » chez Guimet » (ibid. : 798). 

Mais la discussion se transforme peu à peu en controverse, car Robert, en racontant le vol de la tête de Bouddha, sentant qu’il suscite consternation autour de lui, condamne ses auditeurs pour leur « piété un peu baroque… une piété… exotique » (ibid. : 799). Il les accuse d’être ridicules à raison du regard moralisant qu’ils portent sur son histoire, ce qui s’explique par leur méconnaissance de la religion bouddhique.

Lorsque Robert évoque sa visite au temple, Madame Ravais lui conseille de lire « un excellent guide des Religions, Orphée, de M. Salomon Reinach. » Elle continue ainsi : « Il a paru durant votre absence. Il coûte six francs dans une reliure souple. Vous y verrez qu’on y parle simplement et d’une façon rationnelle de toutes les superstitions connues » (ibid.). 

L’orientalisme ethnocentrique de Salomon Reinach (1858-1932) classifie et oppose des « religions », parmi lesquelles figure le bouddhisme. Ses écrits constituent un exemple de vulgarisation des connaissances d’un orientaliste, au sens d’un expert sur l’orient, à destination d’une Madame Ravais. Cette dernière incarne la femme bourgeoise qui s’intéresse aux pays exotiques : sans avoir acquis une véritable connaissance de l’Extrême-Orient, elle ne fait que répéter les idées qu’elle a lues dans ce genre d’ouvrages. Au contraire, Robert, qui, au fond de la Chine avait directement vécu l’expérience mystique dont il veut parler, incarne l’exote — une figure poétique qui s’appuie sur des connaissances de première main, ayant acquis une expertise véritable.

Comme Segalen, Robert définit le bouddhisme comme la philosophie de Siddhârtha Gautama. Le bouddhisme est donc la pensée d’un homme et non pas une doctrine relative à un dieu. À cet égard, Robert représente l’expérience religieuse et mystique face à l’exotisme pseudo-scientifique qui se confond avec l’orientalisme érudit chez Madame Ravais. Segalen souligne l’opposition entre ces deux attitudes en faisant précisément d’Orphée de Reinach le guide de référence de Madame Ravais : l’ironie tient à ce que la figure d’Orphée est à la fois le titre du texte érudit de Reinarch et la figure mythique qui symbolise la poièsis, figure que Robert incarne peu à peu. La nature de ce débat est donc révélatrice de la prise de position segalénienne qui se manifestait aussi dans son drame Siddhârtha, dans lequel il a voulu mettre en scène la vie de Gautama en rejetant toutes les histoires de ses vies antérieures comme de la fiction. Tout comme Segalen, Robert s’indigne devant la piété fausse des invités à la soirée. Et pourtant, la seule personne qui ne le juge pas reste Annie.

La controverse incite les autres à partir, ce qui permet à Robert de parler en exclusivité avec Annie. Le récit se concentre, désormais, sur cette relation intime entre Robert et Annie, une relation qui prend la forme de l’initiation d’Annie par Robert à travers sa parole qui évoque une vision de son expérience mystique. Cette relation intime entre Robert et Annie rappelle celle entre Orphée et Eurydice.

Cette analyse qui interprète les deux personnages comme des figures mythiques fait écho à celle de Philippe Postel (1993 : 7-24), laquelle propose que Robert et Annie représentent Narcisse et Écho. Postel constate que La Tête n’est pas simplement une version moderne du mythe, mais son renversement. Si Narcisse ignore Écho parce qu’il est amoureux de sa propre image, Robert trouve l’issue du solipsisme grâce à l’attention que lui prête Annie, son interlocutrice. À travers Annie, Robert fait l’expérience de l’altérité. On peut remarquer aussi que les personnages vivent cette rencontre à travers l’histoire racontée, de sorte qu’ils confirment leur désir d’entendre et d’être étendus, ce qui souligne l’importance du poièsis pour échapper au solipsisme. Ainsi, bien que Postel souligne cette dimension de La Tête, nous proposons que Segalen utilise ce moment clé dans l’histoire pour souligner le pouvoir de l’exote, dont Robert est l’exemple. Or, c’est la capacité de « faire voir » aux autres sa vision du monde qui rend l’histoire de l’exote supérieure aux récits de voyage « loti-formes » et aux « livres sur la Chine » écrits par des experts et des journalistes. 

Robert raconte comment il a volé la tête dans un temple bouddhiste et comment elle est tombée dans une faille au bord de la route alors que, par jeu, il s’en servait comme d’un ballon dans un match de polo. Quand Robert tente de la récupérer, la tête vient vers lui en flottant dans l’air. L’expérience s’est révélée d’autant plus mystérieuse que la tête s’est ensuite transformée en matière virtuelle, puis s’est superposée à celle de Robert :

La face approche, dans l’accalmie parfaite de sa lumière plate ; elle approche, elle approche, elle grandit jusqu’à l’extrême où un œil humain peut voir, et doucement elle devient virtuelle, retournée sur mon visage, front sur front, et bouche sur bouche… Je dois fermer les yeux, alors, puisque ses yeux ont franchi les miens. Comme ceci… 

Robert poursuit son histoire :

Il y a cette lumière sans éclat… Approchez-vous, Annie, et comprenez comme j’ai fait moi-même, après avoir tant cherché… Non pas ce Nirvana dont nos poètes ont si naïvement abusé… (Ma chère petite inquiète, ne tremblez pas comme cela.) Ils ont fait un paradis béat, un nuage de la douleur, le chemin de la Délivrance… Et le voici retrouvé, grâce à vous ; ce que je ressens, vous le savez même sans paroles. Vivons ceci pour nous. Ne fuyez plus mon regard : j’ai franchi vos yeux. Restez longtemps. Je la vois toujours ! Elle est belle :

Je la vois aussi.

Enfin, Annie ! vous seule entre tant d’autres ! Alors, vous êtes mienne, Annie. Alors, tu es tout mon amour. (Ibid. : 809). 

Le récit se clôt sur cette fusion de leurs regards qui réalise le rêve d’une vision partagée instantanément, ce qui représente la visée ultime de tout récit, comme Segalen l’avait souligné dans ses notes pour l’Essai, lorsqu’il préparait son voyage en juin 1908 :

Et dans l’échelle, par degrés d’artifices, des arts, n’est-ce pas à un cran plus haut, de dire, non pas tout crûment sa vision, mais par un transfert instantané, constant, l’écho de sa présence ? (OC, I : 747). 

L’initiation d’Annie s’achève au moment où elle voit ce que Robert lui raconte. Ils réalisent ensemble une relation idéale, ce qui est possible grâce aux qualités d’Annie. Dans le contexte du récit, cette relation n’est pas simplement une relation entre un voyageur et son auditeur, mais la mise en scène du moment où une relation d’amitié se tisse entre les deux figures, ce qui les sépare en même temps d’autrui. La relation d’amitié qui se révèle lors du récit figure la relation idéale entre le poète et son auditeur. Il n’est pas surprenant, dans cette optique, que Segalen dédia La Tête à Yvonne.

La Tête nous livre donc un portrait de Robert en exote : au retour de son voyage, il raconte ses expériences du réel mais en y introduisant un élément mystérieux, voire magique. Il incarne la figure du poète comme héros qui se distingue parmi d’autres voyageurs et sinologues qui ne savent pas voir comme lui. Régis est révélé comme le pseudo-exote, car son récit à lui se révèle cliché, et se raconte sans enthousiasme, un récit sans authenticité et sans poésie.

Robert insiste sur la possibilité d’une expérience mystique, et, comme Segalen, il adopte un regard de poète qui se situe à l’encontre du regard du sinologue ou de l’écrivain-voyageur. Dans une lettre du 13 juin 1909 à Yvonne, portant sur ses valeurs religieuses par rapport à celles de Voisins, Segalen affirme le même parti pris :

Il y a le mystique orgueilleux qui sommeille en moi. Et ce sera même une haute joie que d’approfondir — ô, si lentement ! — le sillon qui me sépare d’Augusto : lui, catholique et non mystique (s’est-il défendu) — moi si anticatholique pur, mais resté, d’essence, amoureux des châteaux dans les âmes et des secrets corridors obscurs menant vers la lumière… (C, I : 885-6).

La Tête est un récit court mais riche dans le sens que nous pouvons y discerner la prise de position de l’exote, une figure du poète qui fait contraste avec celle du pseudo-exote, et qui, au milieu du salon, se trouve entourée par un cercle qui jouit de l’exotisme populaire nourri par la sinologie vulgarisée. Au centre du salon, Robert trouve en Annie un auditeur capable de voir sa vision, d’accepter son histoire, de l’accepter tout court.

Pour conclure

Dans cet article, nous avons commencé par tracer le réseau de connaissances de Segalen, avant de souligner la qualité « poétique » de ces relations amicales. Nous avons montré ensuite que Segalen, établissant ses relations en fonction de ses intérêts littéraires, a noué des amitiés avec ceux qu’il estimait répondre à sa définition de l’exote.

Au cœur de ce réseau, nous retrouvons sa femme, Yvonne. Toutefois, son rôle n’est pas sans ambiguïté. D’un côté — c’est le point de vue de Marie Dollé —, la relation intime entre Segalen et sa femme est minée par le fait que, même s’il parle souvent de son amour pour Yvonne dans ses lettres, il aime aussi ses aventures en compagnie d’Augusto Gilbert de Voisins. De l’autre — c’est notre position —, les lettres du poète sont témoins de sa foi dans sa parole, c’est-à-dire, dans sa capacité de faire voir à son épouse tout ce qu’il avait sous les yeux en Chine. Segalen tissait ainsi des relations affectives et spirituelles qui nourrissaient son épanouissement personnel. L’image de l’exote comme voyageur solitaire et autonome a certes son importance dans l’esthétique segalénienne, mais elle ne doit pas réduire le rôle essentiel qu’a joué le réseau qui l’entourait pendant son séjour en Chine. La rencontre de Segalen avec la Chine doit ainsi être replacée sous le signe de l’amitié.

  • Bibliographie

Bouillier 1978 : Henry Bouillier, « Le Détour de la Chine », dans Eliane Formentelli (dir.), Regards, espaces, signes, Paris, L’Asiathèque, 1978, p. 95-114.

Bouillier 1986 : Henry Bouillier, Victor Segalen [1961], Paris, Mercure de France, 1986.

C : Segalen, Victor, Correspondance, Paris, Fayard, présentée par Henry Bouillier, texte établi et annoté par Annie Joly-Segalen, Dominique Lelong et Philippe Postel, 3 tomes, 2004.

Cordonier 1996 : Noël Cordonier, L’Expérience de l’œuvre, Paris, Honoré Champion, « Littérature de notre siècle », 1996.

Dollé 2008 : Marie Dollé, Victor Segalen, le Voyageur incertain, Paris, Aden, « Le cercle des poètes disparus », 2008.

Manceron 1987 : Gilles Manceron, « Aux origines de René Leys », Europe, n° 696, Victor Segalen, 1987, p. 79-88.

Manceron 1991 : Gilles Manceron, Segalen, Paris, J.-C. Lattès, 1991.

OC : Victor Segalen, Œuvres Complètes, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2 tomes, 1995.

Postel 1993 : Philippe Postel, « Le Merveilleux dans La Tête et Le Siège de l’âme de Victor Segalen », dans Cahiers Victor Segalen, n° 2, Paris, Association Victor-Segalen, 1993, p. 7-24.

Segalen 1967 : Victor Segalen, Lettres de la Chine, Paris, Librairie Plon, 1967.

  • Contributeur

Ian Fookes est « Professional Teaching Fellow » à l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, où il a écrit sa thèse de doctorat au sujet de Victor Segalen ( « Victor Segalen : exotisme, altérité, transcendance »). Son domaine de recherche est la littérature générale et comparée ; il est spécialiste de l’exotisme des XIXe et du XXe siècles.

  • Bibliographie de l’auteur

« Exoticism and Familiarity in Victor Segalen’s Travel Poetry », dans Meenakshi Bharat et Madhu Grover (dir.), Representing the Exotic and the Familiar: Politics and Perception in Literature, Amsterdam, John Benjamins Publishing Co., 2019, p. 51-66.