Cahiers Victor Segalen, n° 4, Traces alternées de Victor Segalen. Une exploration de sa correspondance (1893-1919)

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Une rencontre poétique : Victor Segalen et Pang Pei

Philippe Postel

  • Résumé

L’article propose une étude de réception créatrice : des Lettres de Chine, la correspondance de Victor Segalen avec sa femme Yvonne en 1909-1910, lors de son premier voyage en Chine, aux Lettres de Chine de Segalen, recueil poétique de Pang Pei. Après une présentation du poète chinois et une approche intertextuelle, sont mis en regard d’une part un portrait de Segalen sous les traits d’un érudit, d’un héros et d’un voyageur, d’autre part un autoportrait de Pang Pei en poète néo-romantique. Mais le recueil vaut surtout par son caractère « anamorphique », c’est-à-dire par le va-et-vient, parfois la fusion, souvent l’indécision entre les deux figures de poètes.

  • Abstract

A poetic Encounter: Victor Segalen and Pang Pei

The paper is a study of creative reception: from the Letters from China, Victor Segalen’s correspondence with his wife Yvonne in 1909-1910, during his first journey in China, to the Letters from China by Segalen, a poetic collection by Pang Pei. After a presentation of the Chinese poet and an intertextual approach, two analyses are successively offered, echoing to one another: first a portrait of Segalen as a scholar, a hero and a traveller, then a self-portrait of Pang Pei as a neo-Romantic poet. But the collection is most of all fascinating for its “anamorphic” character, that is to say by the back and forth movement between the two figures of poets, sometimes their fusion, and often the impossibility to tell the difference between the two.

  • Pour citer l’article

Postel, Philippe, « Une rencontre poétique : Victor Segalen et Pang Pei », dans Guermès, Sophie et Postel, Philippe, Cahiers Victor Segalen, n° 4 : Traces alternées de Victor Segalen : une exploration de sa correspondance (1993-1919), 2021, page [En ligne], https://www.victorsegalen.org (jour, mois, année de la consultation par l’usager).

Une rencontre poétique : Victor Segalen et Pang Pei

Philippe Postel

十年生死两茫茫

不思量

自难忘

千里孤坟

无处话凄凉

纵使相逢应不识

尘满面

鬓如霜

   ——苏轼:《江城子》乙卯正月二十日夜记梦

Dix ans que vivant et mort s’ignorent

Je ne cherche pas à me souvenir,

Oublier est simplement impossible

À mille li, le tombeau solitaire,

Nul endroit où épancher mon chagrin

Si l’on se rencontrait, tu ne me reconnaitrais pas

La poussière plein mon visage

Les tempes comme le givre.

Su Shi, Sur l’air de « L’homme de la ville du fleuve »,

« La nuit du 20e jour du 1er mois de l’année Yimao,

je transcris un rêve[1] »

C’est Bei Huang, professeur à l’Université Fudan et une amie de longue date, qui, lors d’un colloque qu’elle avait organisé à Shanghaï en 2016, m’a permis de connaître le poète Pang Pei (庞培), et le recueil qu’il avait écrit et publié quelques années auparavant sous le titre chinois Xie Gelan Zhōngguó shūjiăn (谢阁兰中国书简, littéralement « Lettres de Chine de Segalen »), dont on a publié en 2017 une traduction partielle dans le numéro 3 des Cahiers Segalen, intitulé Lectures de Chine. Ainsi, l’émotion déclenchée par la lecture des lettres adressées par Segalen à sa femme en 1909, publiée une première fois en 1967, de nouveau en 1993, puis traduite en chinois par Zou Yan (邹琰) en 2006[2], a déclenché à son tour chez Pang Pei une écriture poétique en relais, comme il le confie lui-même dans les « notes » (Hòujì 后记) rédigées en 2013 à l’occasion de la publication d’une traduction partielle du recueil dans les Cahiers Segalen. Il évoque en effet « une risée étrange qui passe sur mon cœur » (我心头有一阵奇异的海上的风掠过), et avoue :

这样的信件,这样隐秘的言辞、文字和心声,瞬间从一本叫做《谢阁兰中国书信》的书上潮水般、闪电般向我袭来。

Ce genre de lettres, ce genre de confidences, écrits et états d’âme, glanés en un clin d’œil au livre appelé Lettres de Chine, m’envahirent comme une marée, me frappèrent comme un éclair. (Cahiers Segalen n° 3 : 264, traduction de Florian Couriau).

Comment s’opère cette réception ? Tout d’abord sur le mode de l’intertextualité, mais plus qu’une réécriture, il s’agit en fait d’un double portrait : celui de Segalen, portrait imaginaire, et celui de Pang Pei lui-même, un autoportrait. On verra qu’en fait les deux portraits sont indissociables et que ce caractère indissociable fait partie de l’esthétique même du recueil. Mais auparavant, nous allons présenter le poète chinois.

Situation de Pang Pei

Pang Pei est né en 1962, dans la province côtière du Jiangsu, précisément dans la ville de Jiangyin qui se trouve sur le Yangzi, après Nankin et au nord de Wuxi. C’est donc un homme du Sud, où, à ma connaissance, il continue de vivre. Il est diplômé de l’Université de Nankin, en chinois. Sa première œuvre publiée est un roman, en 1985, puis il publie de la poésie ; à ce titre, il obtient quelques prix dans les années 1990. Notons qu’il ne connaît pas d’autre pays et d’autre langue que la Chine et le chinois :

不会法语或任何一门外语。

Je n’ai jamais eu l’occasion d’apprendre le français ni quelque langue étrangère que ce soit (Entretien).

Pang Pei écrit dans un contexte de création poétique qu’il convient de rappeler. Il bénéficie de deux moments historiques d’ouverture culturelle de la Chine aux littératures étrangères, se traduisant notamment par la publication de nombreuses traductions. De son vivant, il connaît l’ouverture des années 1980, qui constitue une rupture avec la période de la Révolution culturelle (1964-1974) :

在中年之前,对欧洲各国文学、其中自然包括了法国文学自夏多布里昂和伏尔泰以来作品量的反复浏览,甚至就此形成了一名作家精神历程中至关紧要的青少年时期的生理。我的意思是说,我对于拉克洛(《危险的关系》)、梅里美、司汤达、波德莱尔、普鲁斯特和众多法语诗人作家作品的熟悉程度,几乎等同于我自己的家人或亲朋好友。一方面,这得益于20世纪中国现代性历程的整体压抑、过份焦虑;另一方面,自然更多更大范围地得益于“十年文革”之后。

Dans ma jeunesse, j’ai beaucoup lu d’œuvres européennes, y compris des œuvres françaises à partir de Chateaubriand. C’était une importante formation intellectuelle pour ma vie d’écrivain. Je veux dire que, Choderlos de Laclos, Mérimée, Stendal, Baudelaire, Proust, ainsi que d’autres écrivains français, me sont presque aussi familiers que mes amis ou des membres de ma famille. Cette familiarité est due, d’une part, à l’inquiétude collective issue de la modernisation de la Chine tout au long du XXe siècle, et, d’autre part, à la production foisonnante d’œuvres traduites après la Révolution Culturelle. (Entretien).

Mais auparavant, avant la naissance de Pang Pei, la Chine s’était ouverte une première fois aux littératures étrangères : c’est ce qu’il est convenu d’appeler la Révolution littéraire des années 1910-20. La poésie s’émancipe alors des formes contraintes de la tradition classique. Au début du XXe siècle, les jeunes poètes chinois adoptent le vers libre après leur découverte de la poésie occidentale, soit par le biais des traductions japonaises, pour ceux qui sont partis étudier au Japon comme Lu Xun (鲁迅, 1881-1936) ou Guo Moruo (郭沫若, 1892-1978), soit directement en anglais comme ce fut le cas pour Hu Shi (胡适, 1891-1962) ou Wen Yiduo (聞一多, 1899-1946), étudiants aux États-Unis (voir Chen-Andro 2014 : 12). Cette liberté acquise a peut-être une incidence plus forte dans la poésie chinoise car, traditionnellement, le vers se confond avec la phrase syntaxique (les deux se disent en chinois 句), si bien qu’il n’existait pas d’enjambement dans la tradition. Le vers libre permet donc de s’exprimer avec souplesse et naturel. De plus, dans ces années 1910-20, le poète revendique le droit de s’exprimer en son nom propre : c’est la légitimation de la parole subjective, favorisée en particulier par la société appelée Création (Chuàngzào 创造, groupe créé en 1921, dont les idées et les productions son diffusées dans la revue qui porte le même nom). Cette orientation subjective connaît une résurgence à la fin des années 1970, puis une véritable effervescence dans la décennie suivante (voir Chen-Andro 2014 : 21).

Ces deux caractéristiques se retrouvent dans la poésie de Pang Pei, qui présente néanmoins également des caractéristiques classiques. J’en relèverais deux seulement. Parfois, mais peu souvent il est vrai, l’écriture poétique de Pang Pei présente une facture classique. Ainsi, au début ou à la fin d’un poème, peut apparaître un quatrain (juéjù绝句), jouant sur les parallélismes, dans la plus pure tradition :

恒山脚下

盛产稻米和佛教

黄河两岸

流淌孤独和抑郁

Au pied du mont Heng

Blé et bouddhisme à foison

Sur les deux rives du fleuve Jaune

Coulent la solitude et le désespoir (poème n° 10, v. 1-4)

Même jeu dans ce quatrain-ci :

静静的江水

古老的经卷

紧贴的心跳

相挨的脸庞

Eaux calmes et paisibles

Anciens rouleaux de sūtras

Cœurs palpitants serrés les uns contre les autres

Visages frappés les uns par les autres (47, 47-50)

Mais c’est surtout le sujet général du poème qui rappelle une tradition poétique bien attestée : il existe en effet de nombreux poèmes relatant un voyage ou une excursion, puis donnant lieu à une méditation, comme les célèbres poèmes de Su Dongpo sur « La Falaise Rouge » (voir 2004 : 63-69).

La publication ne comporte ni lieu ni date, mais elle se situe aux alentours de 2012. Elle est assurée par un éditeur indépendant : les éditions « indépendantes » (duli 独立) Amiba. Le titre chinois du recueil — en français Lettres chinoises de Segalen, en chinois Xie Gelan Zhōngguó shūjiăn (谢阁兰中国书简) — reprend le titre de la traduction en 2006 par Zou Yan (邹琰) des Lettres de Chine adressée par Segalen à son épouse. Pang Pei détaille ainsi les circonstances dans lesquelles il a écrit le recueil dans les Notes de 2013 :

我是四年前在书店里,在长排的书架跟前第一次从一大排书脊中抽出邹琰的译本:谢阁兰当年的书信。从书店走回家的路上,我已完成全诗64章节的大体构思。

Voici quatre ans déjà que, pour la première fois, parmi les livres disposés sur une grande étagère dans une librairie, j’ai mis la main sur la traduction par Zou Yan des Lettres de Chine. De la librairie jusque chez moi, les soixante-quatre chapitres de ce poème sont nés. La composition, la correction et la finition ont pris à peu près deux mois (Cahiers Segalen n° 3 : 267)

Ce mode de création est précisé à la fin du poème, lorsque Pang Pei donne les dates de la composition de son poème : en septembre 2010, pendant trois jours, il écrit une première version ; puis il termine une deuxième version le 5 novembre 2010 ; la « version définitive après correction, établie de nuit » (夜改定) date enfin du 26 juillet 2011. Il s’agit donc d’une écriture surgie d’un jet, lors d’une création particulièrement intense et féconde, puis retravaillée par la suite, ce qui correspond bien à l’ordo neglectus, le style « spontané » qui convient, selon les manuels de rhétorique, au style de la lettre.

Un poète chinois sous influence

Nous proposons à présent une approche intertextuelle qui tentera tout d’abord d’établir les liens entre le recueil de Pang Pei et les Lettres de Chine, la seule partie de la Correspondance de Segalen, qui soit traduite en chinois. Pang Pei opère bien entendu de nombreux transferts de contenus. Il intègre par exemple le nom de Mavone (Yvonne), translittéré Mawona :

像抱着你年轻的身子

啊!玛沃娜

J’embrasse ton corps jeune et brûlant

Ah !, Mavone (8, 2-3)

Ailleurs il fait référence à Annie, la fille de Segalen : « Annie et Ma[vone] chérie » (阿尼玛卿, 40, 7).

Il lui arrive aussi de transposer des épisodes entiers. Il s’agit parfois d’une simple évocation, comme lorsqu’il fait référence au trajet entre deux provinces situées à l’ouest de la Chine, le Gansu (Kan-sou) et le Sichuan (Sseu-tch’ouan), trajet que Segalen relate dans la lettre du 17 novembre 1909 (voir C : I, 1044-5) :

我的目光停留在“岷山”、“黑水峡谷”。

Mon regard se fixe sur le mont « Min », sur les « Gorges des Eaux-Noires » (19, 7).

Il évoque également le fameux épisode de la tête de Bouddha (voir C : 29 août 1909, I, 980-2 et le poème 47, v. 18).

Parfois, il s’agit d’un épisode plus développé. Pang Pei reprend assez précisément l’étape à Suzhou (voir C : 1er juin 1909, I, 871-2) dans le poème 28. On y retrouve les remparts — « la ville enceinte des éternels créneaux » devient simplement le « mur d’enceinte » (围墙, v. 10) — ainsi que les « venelles » (小港, v. 15), le « théâtre » (古戏台, v. 16) et, élément du décor qui ne s’invente pas, la « procession de la fête-Dieu », transformée en célébration de la naissance de Guanyin (观音生日v. 6). De même, la visite au Temple des Nuages Azurés (Biyun si, ou Pi-yuen Sseu), évoquée dans la lettre du 12 juillet 1909 (C, I : 915-7), est reprise en ces termes :

山脚 下清凉的碧云寺

那里的五百罗汉 […]

Au pied de la montagne, se trouve le frais Temple des Nuages azurés

Qui contient les cinq cents arhats […] (13, 9-10)

Le texte du poème chinois comporte meme une citation littérale : le « rouge infernal de Guignol », qui décrit certaines statuettes bouddhiques (C, I : 916), devient « cette sorte de rouge sombre de Guignol » (那种吉尼奥尔的暗红色, v. 16). On pourrait relever encore d’autres citations, qui fonctionnent comme des clins d’œil adressés aux initiés : ainsi, lorsqu’il évoque « un renom littéraire qui n’est pas sans orgueil / Amoureux des châteaux dans les âmes » (不无骄傲的文学声名 / 依恋灵魂中的城堡, 15, 13-4), on songe bien évidemment à la célèbre formule souvent citée par Henry Bouillier et d’autres critiques : « Il y a toujours le mystique orgueilleux qui sommeille en moi. […] [Je suis] resté, d’essence, amoureux des châteaux dans les âmes et des secrets corridors menant vers la lumière… » (C, I : 885-6, 13 juin 1909). 

Comme dans les lettres d’amour de Segalen, certains passages des poèmes tentent d’abolir l’absence de l’être aimé, qui est assimilé au paysage environnant, comme dans le poème 20 :

我所见

世间万物都有你的美丽

如同月亮,草木,光照

如同河流山岳

包括我白天经过的长城

Tout ce que je perçois

Des choses du monde a ta beauté

Comme la lune, la végétation, la lumière

Comme les rivières et les montagnes

Y compris la Grande Muraille que j’ai traversée pendant la journée (v. 3-7)

L’être aimé devient une présence qui accompagne le voyageur :

我在一块残缺的碑上

取得你奇妙的爱抚 […]

于是我深入大漠的旅行变成你迷人的舞蹈

Sur une stèle du chemin ébréchée

J’ai obtenu ta merveilleuse tendresse […]

Aussi mon voyage au plus profond du désert se transforme en ta charmante danse (v. 13-4 et 18)

Finalement, à la faveur d’un parallélisme fort classique, se produit le paradoxe d’une absence-présence :

我们相距万里

我们共同前行

Nous sommes séparés par dix mille li

Nous avançons ensemble (v. 25-6)

Pang Pei ne fait pas que reprendre certains éléments relevant du contenu des « lettres de Chine », il reproduit aussi la situation d’énonciation, en donnant à ces poèmes l’allure de lettres. Parfois, une mention de date suffit à renvoyer implicitement à la situation d’énonciation de la lettre : « hier » (昨天) rythme et structure le poème 12 (v. 1, 17, 44 et 53). On rencontre de temps en temps des phrases performatives, décrivant l’acte d’écrire des lettres :

我独自写信

Seul, j’écris une lettre (11, 1)

Autre référence matérielle à la correspondance :

我给你起的,是一种光芒

是经海上痛苦的颠簸过后

所到达的永恒

Celle [lettre] que je t’envoie, c’est [une lettre] pleine de lumière

C’est l’éternité atteinte

Après avoir connu l’agitation des souffrances lors de la traversée en mer (13, 1-3)

Pang Pei fait encore référence aux aléas du courrier postal :

是惊喜莫明收到大堆家信

J’ai eu la bonne surprise de recevoir, sans explication, une pile de courrier de la famille (48, 20)

我再没收到过你的来信

Je n’ai plus reçu de lettre de toi (19, 15)

都在等爱人来信

Il attend une lettre de son aimée (51, 6)

En dépit du titre du recueil, l’intertextualité ne se limite pas aux Lettres de Chine. En fait Pang Pei a lu toutes les œuvres de Segalen disponibles en traduction chinoise, et réinvestit ces lectures dans ses poèmes. Comme il le dit dans l’entretien, il a commencé par lire Stèles : il s’est agi tout d’abord de quelques poèmes, puis il a lu le recueil entier dans la traduction publiée en 1993, assurée par Qin Haiying et Che Jinxiang[3] ; ensuite, il a lu les Lettres de Chine, Peintures, Équipée et l’Essai sur l’exotisme :

所以,我阅读谢阁兰,最早是他的长诗《碑》的中译本片断。[…] 至于《画》、《出征》以及《书简》,都是中年之后才读到的 。

C’est donc à partir des poèmes de Stèles que j’ai commencé à connaître Segalen. […] Quant à d’autres œuvres de Segalen — Lettres de Chine, Peintures, Équipée et Essai sur l’exotisme – je les ai lus plus tard. (Entretien)

Les échos avec Équipée, traduit en chinois par Li Jinjia[4] sont attendus, du fait de la thématique du voyage que les deux recueils ont en commun. Ainsi, le lien « immémorial » entre la Tibétaine et les montagnes qui l’entourent :

曾经,在亿万年前的昨日

她们和神山相视一笑

彼此凝望

颔首会意

Par le passé, à la veille de millions et de milliers d’années

[Les jeunes Tibétaines] et les montagnes sacrées se rencontrent et se sourient

Se fixant du regard

Se comprennent d’un hochement de tête (53, 11-4)

… rappelle tel passage d’Équipée :

Son attrait est fait de ses montagnes ; de son inaccessible, et de tout l’air de toutes les cimes qui l’ont rougie et durcie. (OC, II : 301)

Mais c’est Stèles qui est la source principale du recueil. Pang Pei en emprunte tout d’abord la structure. Son recueil est en effet divisé en cinq sections correspondant aux cinq points cardinaux : Est, Nord, Sud, Ouest et Milieu. On constate toutefois trois différences par rapport à Stèles. Pang Pei ne reprend pas les stèles du « Bord du chemin », mais nous verrons qu’en fait les poèmes de Pang Pei entrent pour la plupart dans l’esprit des stèles de paysage contenues dans cette section du recueil de Segalen. L’ordre des sections n’est pas exactement le même, puisque, dans Stèles, se succèdent le Sud, le Nord, l’Est, l’Ouest, le Bord du chemin et le Milieu. Mais la différence le plus importante est que Pang Pei ne reprend pas à son compte l’association thématique du recueil de Segalen (le Sud associé à l’empereur et au pouvoir, le Nord à l’amitié, l’Est à la femme et à l’amour, l’Ouest à la guerre et à l’ennemi, le Bord du chemin à la nature et au divers, enfin le Milieu au moi) : les directions qui structurent le recueil n’ont qu’une signification géographique.

Une autre convergence structurelle tient au fait que le recueil de Pang Pei compte soixante-quatre poèmes, comme dans l’édition de Stèles de 1914, en référence, comme on sait, au nombre des hexagrammes du Livre des mutations (Yi jing 易经) : de même que le Livre des mutations commente les soixante-quatre situations humaines possibles (avec leurs « mutations »), qui résultent de la combinaisons des huit trigrammes primordiaux (8 x 8 = 64), de même le recueil poétique constitue une entreprise totalisante d’exploration du réel et de l’imaginaire.

Enfin, Stèles est présent dans le recueil de Pang Pei à travers de nombreux échos. Les trois exemples que je donne ci-après restent toutefois des hypothèses, car Pang Pei n’opère jamais de décalque pur : il s’agit de réminiscences. Tel passage :

温柔与强暴

坚韧与脆弱的奇特混合

如同太湖和长江

黄河和紫禁城

Tendre et violente

Curieux mélange de fermeté et de fragilité

Comme le lac Taihu et le fleuve Changjiang

Le fleuve Jaune et la Cité Interdite (5, 6-9)

… rappelle les « tourments » et les « tempêtes » de la « Terre jaune », par opposition à la plaine qui, « dans son plat », « ignor[e] les tumultes ». Le principe du contraste violent est également présent dans l’épigraphe de la stèle : 上平下乱, c’est-à-dire « En haut le plat, en bas le chaos » (voir OC : II, 100).

Deux autres passages font écho à « Nom caché ». Il est vrai que, pour le premier, on peut hésiter avec « Conseils au bon voyageur » :

在白云、群山、大海之间

我该去向何方?

在智慧、沉痛、愚昧之间

我又作何抉择?

Entre les nuages blancs, les montagnes ou les mers

Dans quelle direction dois-je partir ?

Entre la connaissance, l’amertume et l’ignorance

Quel choix dois-je faire encore ? (29, 39-42)

Par ailleurs, l’épigraphe inscrite cette fois-ci par Pang Pei sur la page de titre de la section de l’Ouest reprend l’idée que l’on peut tirer du dernier poème de Stèles : 《人无识者》, c’est-à-dire « l’homme est un être qui ne détient pas la connaissance ».

Dernier exemple : certains éléments volontairement pittoresques de « Cité Violette Interdite », ainsi que l’aspiration à vivre retiré, se retrouvent ici :

我要留在古代的庭院,像一小块

破碎的瓷片

留在花坛、莲池和听雨轩

Je voudrais rester dans les jardins de l’antiquité, comme un petit

Tesson de porcelaine brisée

Rester dans un parterre de fleurs, un bassin de lotus ou sur un pavillon pour écouter la pluie (43, 2-4)

L’Essai sur l’exotisme est une autre source d’inspiration. Pang Pei retient surtout la notion d’exotisme entendu comme « esthétique ». Il reprend donc à son compte l’idée selon laquelle la distance entre le sujet contemplant et l’objet contemplé est la condition de possibilité de l’expérience du beau :

我的一生,是对美,对远方的

无益的尝试

惟其无益,才显得高贵

才比美更美

Ma vie, c’est être face au beau, face à la distance

Expériences sans utilité

C’est justement l’inutilité qui révèle sa noblesse

Une beauté qui dépasse la beauté (12, 40-3)

On peut noter encore un lien intersémiotique entre le recueil de Pang Pei et certaines photos célèbres de Segalen. Ainsi la photo qui, en 1914 (après 1909, la période des Lettres de Chine), rassemble les trois membres de la mission archéologique Victor Segalen, Gilbert de Voisins et Jean Lartigue travaillant, la nuit, autour d’une table éclairée, a sans doute inspiré le poème 27, que je cite en entier :

深夜。一封信或一首古典

书签被搁到一本书里去的悄然感觉

灯也仿佛然亮书的内页

尤其在书合上

夜晚真正开始时

没有人看见我在做什么

我在爱你。我在一种寂然

抚摸我的童年

我登大了眼睛

……

Nuit profonde. Une lettre ou un poème ancien

Un sentiment de tristesse déposé dans le livre sur lequel est apposé le titre

La lampe aussi semble éclairer la page intérieure du livre

Surtout sur le coffret du livre

Juste au moment où la nuit commence

Personne ne peut voir ce que je fais

Je t’aime. Dans une sorte de silence

Je caresse mon enfance

J’ouvre grand les yeux

… (27)

Enfin, Pang Pei fait référence à d’autres écrivains français, des « maîtres » qu’il semble partager avec Segalen : Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé. On repère dans ce passage-ci :

风景的全部涵义,不过是

树木喃喃低语

一名远行者能到达的,只是他可怜的心

Le paysage, pris en entier, a une signification, mais en vérité

Les arbres font entendre un murmure

Si un homme qui vient de loin arrive [en ce lieu], c’est son cœur qui seul sera ému (7/1-3)

… une réminiscence des « Correspondances » :

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

Pang Pei mentionne Rimbaud à plusieurs reprises :

在这里,我想起兰波

C’est ici que j’ai songé à Rimbaud (12, 22)

除了我心中的兰波

Rimbaud [qui est] dans mon cœur (41, 9)

Mais le poète français est également suggéré à travers des images, comme le motif de la noyade :

中午到下午

就像海难的溺水

从水面到海底

慢慢沉落。光线

渐暗

Midi, puis l’après-midi

Comme justement les noyades parmi les périls en mer

Depuis la surface de l’eau jusqu’au fond de la mer

Lentement [je] sombre. Les rayons de lumière

Peu à peu s’assombrissent (60, 1-5)

Ce passage peut en effet rappeler ces deux vers du « Bateau ivre » :

[…] un noyé pensif parfois descend (v. 24)

Des noyés descendaient dormir, à reculons ! (v. 68)

L’image mallarméenne du naufrage (dans « Brise marine » et dans « Jamais un coup de dés ») pourrait trouver un écho ici :

[…] 村子

仿佛失事的船只在飓风中

[…] Le village

Ressemble à un bateau naufragé au milieu d’un ouragan (41, 19-20)

Mais Mallarmé est surtout présent à travers sa conception de la poésie que Segalen développe en particulier dans la Préface de Stèles : la poésie est un espace à part, sacré, essentiel, nécessaire, par opposition au monde contingent ; de même, Pang Pei oppose le papier xuan, censé « durer mille ans » (纸寿千年), à la Grande Muraille, le « Rempart de dix mille li » (万里长城) :

汉字书法也与月亮有关

利用阴影和线条

水的粼粼波光

草丛蟋蟀的低吟,在招魂用的

经幡般飘展的宣纸上

画下无声无色的岁月……

事实上,万里长城不及一张轻飘的

宣纸。了解中国,最好用手摸一摸

这种纸的绵柔纸质

摸一摸中国的心跳

摸一摸汉字的轻叹

La calligraphie chinoise a quelque chose de la lune

Avec son ombre et ses contours

L’éclat des vagues cristallines sur l’horizon marin

Le murmure des grillons dans les herbes

Les années sans bruit et sans couleur, tracées

Sur du papier xuan qui flotte semblable aux drapeaux tibétains

Que l’on utilise pour appeler les âmes des défunts…

En réalité, la Grande Muraille de dix mille li ne vaut pas

Une feuille de papier xuan qui flotte au vent. Pour comprendre la Chine, le mieux est de caresser de la main

Les longues feuilles souples de cette sorte de papier

Caresser le cœur battant de la Chine

Caresser le doux soupir des caractères (9, 9-19)

Ainsi, sans se limiter à une œuvre, ni même à un auteur (Segalen), Pang Pei utilise au moins deux modes de l’intertextualité : la reprise globale à travers le dispositif énonciatif des Lettres de Chine, la structure de Stèles et la thématique d’Équipée, et des reprises ponctuelles, sur le mode de la citation ou de l’écho.

Mais le recueil de Pang Pei ne se réduit pas à une réécriture, il s’agit d’une véritable rencontre poétique dans le sens où à la lecture, on perçoit véritablement deux voix qui s’entremêlent, celle de Segalen telle que Pang Pei la reconstitue, et celle du poète chinois lui-même. Le recueil brosse ainsi un double portrait. Nous allons tout d’abord essayer de dissocier les deux portraits, mais nous verrons qu’en définitive ils sont indissociables.

Portrait de Segalen en érudit, héros et voyageur

En lien bien entendu avec la notion segalénienne du Divers, Pang Pei voit tout d’abord Segalen comme un être de la diversité, qui s’est investi dans de multiples activités, domaines ou aspects :

我,毛利人 。海浪

一个中国主题,一名旅客 […]

我,远古人

次年二月与妻小在香港重聚

我,一本装帧精美的《道德经》

在想像与现实之间

溯江而上

沿途吟哦着 “认识东方” […]

依恋灵魂中的城堡 […]

我,天子 […]

Moi, Maori. Vague marine

Un sujet chinois, un voyageur […]

Moi, homme antique

En février de l’année prochaine, réuni avec ma femme et mon enfant à Hongkong

Moi, un exemplaire à la couverture élégante du Livre de la Voie et de la Vertu

Entre imaginaire et réel

Remontant le Fleuve

Récitant sur la route Connaissance de l’Est […]

Amoureux des châteaux dans les âmes

Moi, une sorte d’explorateur […]

Moi, Fils du Ciel (15, 1-18)

En l’espace de 18 vers seulement, comme la « vague » évoquée dans le premier, le poète français se transforme pour revêtir huit ou neuf aspects successifs : le Maori, le voyageur, l’homme antique, le père et époux, le navigateur, le lecteur (du Laozi et de Claudel), le mystique, l’explorateur, l’empereur… La diversité de Segalen atteint son paroxysme dans cet autre poème          :

[…] 我自己

也是未知本身,与我途经的一切相融合

我是中国人,欧洲人,日本人

我来自巴黎、德格、香港、南京

来自偏僻的雅安府

宝鸡、北海道、波尔多……

甚至无法追溯的古老种族的一支

我来自南太平洋的海滨渔村

来自陆路无法抵达的高原绝域

 […] Moi aussi,

Je demeure inconnu à moi-même, confondu avec tout ce qui a traversé ma route

Je suis Chinois, Européen, Japonais

Je viens de Paris, de Dege, de Hongkong, de Nankin

Du lointain Ya’an-fu

De Baoji, de Hokkaidō, de Bordeaux…

Et même d’une race antique immémoriale

Je viens d’un village de pêcheurs du Pacifique Sud

D’une région très lointaine de hauts plateaux continentaux inaccessibles (46, 7-15)

Parmi cette diversité, Pang Pei privilégie néanmoins trois figures, qui, selon lui, définissent Segalen : l’érudit, le héros et le voyageur. De très nombreuses occurrences font de Segalen un homme presque entièrement voué à des lectures concernant l’histoire chinoise et en particulier l’antiquité. Je donne trois exemples :

每天在万物静谧里

研读更加古老的诗歌

Chaque jour, dans la quiétude des choses

J’étudie une poésie encore plus ancienne (4, 8-9)

我有与众不同的停栖

停栖在远古

Je ne m’installe pas dans les mêmes nids que la foule

[Mon] nid se trouve dans l’antiquité (29, 14-5)

我要留在古代的庭园,像一小块

破碎的瓷片

Je voudrais rester dans les jardins de l’antiquité, comme un petit

Tesson de porcelaine brisée (43, 2-3)

Cet intérêt pour l’antiquité chinoise est d’autant plus remarquable qu’il fait contraste avec la jeunesse de Segalen :

啊!

来到中国

我多么年轻

脚下的这块土地

又是多么古老!

Ah !

Quand je suis arrivé en Chine

J’étais tellement jeune

Pourtant cette terre à mes pieds

Était tellement antique ! (5/1-5)

À cette érudition est associée la solitude, peut-être parce que l’érudition, par son exigence, est censée entraîner une sorte de renoncement à autrui. En tout cas, Gilbert de Voisins, le compagnon du voyage de 1909, est absent du recueil de Pang Pei. Segalen est lui-même très souvent mis en scène dans la solitude. Dans le poème 11 par exemple, la solitude est comme martelée par l’anaphore :

我独自写信

信以及信人已被烧成灰烬

我独自旅行

穿过海面雾朦朦一座孤岛

我独自爱

最终所爱的人比我更孤独

我独自回家

枯草的家。北方的家。积雪的家

一场大雨中窗户数出空洞无物

Seul, j’écris une lettre

La lettre ainsi que son auteur ont déjà été réduits en cendre

Seul, je voyage

Traversant une île reculée sur la mer embrumée

Seul, j’aime

Finalement l’être que j’aime est encore plus seul que moi

Seul, je rentre chez moi

Un pays d’herbes sèches. Un pays du nord. Un pays enneigé

Sous une forte pluie les fenêtres sont autant de vides béants (11, cité en entier)

L’érudit Segalen est encore décrit (c’est l’image que l’on a de lui en France aussi) comme un être hautain, altier, éloigné des foules, dans la tradition française ou européenne de l’esthétisme, comme dans ce poème où l’on recourt de nouveau à un procédé de répétition :

我有与众不同的黎明 […]

我有与众不同的海浪 […]

我有与众不同的停栖

Je ne connais pas les mêmes aubes que la foule […]

Je ne connais pas les mêmes vagues marines que la foule […]

Je ne connais pas les mêmes nids que la foule (29, 1, 10 et 14)

Par une association que l’on prête davantage à la tradition occidentale qu’à la tradition chinoise, cette solitude est l’envers d’une dimension héroïque dont Pang Pei revêt volontiers Segalen. Nous allons détailler les modalités de cette construction héroïque, puis nous tenterons d’en fournir une explication. Segalen est mis en scène comme un guerrier, tenant « une page manuscrite de [son] poème comme une épée antique au flanc » (一页诗稿如古代的佩剑, 29, 3). L’image réapparaît dans le dernier poème du recueil, sans doute pour décrire le poète sur le chemin du retour, rapportant son butin littéraire ; il est « comme un guerrier antique qui chérit son épée (像古代的勇士身怀宝剑, 64, 2). Pang Pei compare même Segalen à Hong Wu [Hong Wou] (洪武, 1328-98), le fondateur des Ming, un bandit devenu empereur :

我以一支乞讨人群改造的军队

24岁的起兵吗直捣皇朝

Moi, avec une armée de mendiants que j’ai réformée

À 24 ans j’ai lancé une insurrection, attaqué directement la cour impériale (31, 19-20)

Le voyageur est de même associé à « une armée de justiciers qui, jadis, a parcouru les rives du fleuve Jaune (黄河岸边的早年途径的一支义军, 49, 9). Segalen devient finalement une sorte de « chevalier » (xiake 侠客), résidant dans les « rivières et les lacs », expression qui désigne les repaires des bandits-justiciers dans l’histoire et la littérature romanesque chinoise :

一名书生,身穿白袍

携一把剑游走江湖

Un lettré, revêtu d’une robe blanche

Et portant une épée, parcourt les « rivières et les lacs » (35, 1-2)

Comment comprendre cette association entre Segalen et un guerrier conforme à la tradition populaire chinoise du redresseur de torts vivant en bande ? Cela semble difficile d’autant qu’il est par ailleurs associé, nous l’avons vu, à la figure du lettré solitaire. Je crois qu’il faut comprendre, de la part du poète chinois, l’expression d’une forme de reconnaissance, d’hommage adressé à Segalen en qui il voit un homme venu, alors qu’il était jeune, dans une Chine sur le point de mourir :

昨天,我着手撰写远古

骄傲地低头聆听

人类悲伤的心跳

Hier, j’ai commencé à écrire sur l’antiquité

Avec fierté, j’ai écouté respectueusement, tête baissée

Les battements de cœur d’une population en proie au chagrin (12, 51-3)

En l’occurrence il prête à Segalen une empathie qui ne correspond peut-être pas à la réalité. Si, face à un empire déclinant, Segalen fait figure de héros, c’est qu’il s’agit d’un héros venant sauver les trésors de l’antiquité, qui risquent de disparaître dans la tourmente de la future révolution de 1911 :

在古老中国的残年夕照下

我,谢阁兰,著述甚丰

栩栩如生

Dans le crépuscule des derniers jours de la Chine antique

Moi, Segalen, auteur comblé

Je suis rempli de joie et de vie (15, 30-32)

La jeunesse et la vitalité du poète français viennent en quelque sorte ranimer une Chine en déclin.

Segalen semble en fait révéler une vérité du passé, vérité à laquelle Pang Pei et les Chinois d’aujourd’hui ne peuvent plus accéder : il vient combler le vide ressenti par une génération née dans les années 60, qui n’a pas connu la Chine d’avant le régime communiste, et qui conçoit une forme de nostalgie pour la Chine ancienne, la Chine de l’antiquité, qui fonctionne aussi par opposition à la Chine moderne édifiée depuis l’Ouverture :

惟有这样异国他乡的幻想和头脑能够撞开晚清中国的大门。[…] [他]目力所见的古老中华帝国我们今天已经看不见。

Seuls un esprit et une imagination venant d’un pays étranger pouvaient forcer la grande porte de la Chine de la fin des Qing. […] L’antique empire chinois qu’il a connu, nous ne pouvons plus le voir aujourd’hui. (Notes)

Aux yeux de Pang Pei, Segalen est même un prophète qui a su voir dans le déclin de l’empire chinois des années 1910 le sort à venir de la Chine au XXe siècle :

最为打动我的谢阁兰式的忧伤是一个历史主题:他知道古老的文明正日落西山。他预言到20世纪之后的愈来愈趋向平民化了的长夜漫漫。

Ce qui me touche le plus chez Segalen, c’est que sa mélancolie a une portée historique : il savait que l’antique civilisation était en train de disparaître, comme le soleil à l’ouest derrière les collines. Il a prédit l’interminable nuit pendant laquelle, après le XXe siècle, l’on s’est de plus en plus engagé dans une forme de vulgarité. (Entretien)

Il est toutefois un épisode qui, aux yeux de Pang Pei, écorne la stature héroïque de Segalen, c’est la décapitation et le vol de la tête du Bouddha, condamnés au nom d’un principe, le respect du patrimoine culturel d’un pays hôte :

当一尊佛祖的头掉落在地

我们如何彼此温暖?

Quand la tête de l’Honorable Bouddha est tombée à terre

Comment pouvons-nous maintenir entre nous des relations chaleureuses ? (47, 42-3)

La troisième figure que dessine Pang Pei, figure prépondérante dans son recueil, est celle du voyageur. Avant de préciser les modalités du voyage de Segalen reconstitué par Pang Pei, notons que cette figure du voyageur pourrait tout aussi bien s’appliquer à Pang Pei, qui, comme le précise Bai Hua (柏桦) dans un article qu’il lui consacre, a voyagé dans la Chine de l’Ouest : à Ganzi甘孜 (Garzê), dans le Sichuan [Sseu-tch’ouan] et au Tibet (voir Bai Hua 2012 : 47). Par ailleurs Pang Pei lui-même reconnaît qu’il a parcouru les mêmes régions qu’a connues Segalen en Chine :

是的,凡谢阁兰先生当年走过的中国南北省份、区域,我都去过。[…] 且颇为热爱他私淑的这一条线路。有些,例如:甘肃、陕西,我多次往返。

Oui, je suis allé dans toutes les provinces et les régions du sud et du nord de la Chine que Segalen a parcourues. […] Or, ce que j’aime particulièrement, c’est la route qu’il a suivie, et qui est exemplaire. Certaines régions qu’il a parcourues, comme le Gansu [Kan-sou] et le Shaanxi (Chen-si), j’y suis allé plusieurs fois. (Entretien)

Ainsi le portrait de Segalen par Pang Pei fonctionne comme un autoportrait en filigrane du poète chinois lui-même.

Nous commencerons par déterminer le voyage décrit dans le recueil de Pang Pei sur le plan spatio-temporel. Le voyage comporte un début, évoqué il est vrai sous une forme interrogative :

有什么证明我白衣飘飘

曾在海上旅行?

我有过开始吗?我又在

哪里终止?

Qu’est-ce qui prouve que je flotte dans les airs en habit blanc

Que j’ai navigué en mer ?

Est-ce que j’ai pris le départ ? Et en quel endroit

Vais-je finalement m’arrêter ? (1, 1-4)

On évoque également la fin de ce voyage :

我好像正在回家

Il me semble que je suis en train de revenir chez moi (52, 2)

Toutefois, l’espace-temps de ce voyage, reconstitué à partir du relevé des toponymes ainsi que des dates ou des saisons, ne correspond pas à la réalité du voyage de Segalen en 1909. Tout d’abord, Pang Pei n’en reprend pas la dimension matérielle fort présente dans les lettres — les retards, les tracas, les contrariétés du voyage — , et s’en tient aux déplacements proprement dits. Par ailleurs, il ne rapporte pas de visites de monuments. Enfin, il agrège le voyage de 1909, que Segalen a effectué au côté d’Augusto Gilbert de Voisins, avec celui qu’il a accompli en 1914, lors de la mission archéologique, avec pour troisième compagnon Jean Lartigue.

Si l’on suit les directions qui structurent le recueil, le voyage décrit tout d’abord un demi-cercle de l’Est vers le Nord, puis opère une descente vers le Sud et enfin un écart vers l’Ouest et le Milieu, compte non tenu de quelques retours en arrière çà et là au fil des poèmes. Chaque direction est clairement associée à un paysage ou un « pays », entendu comme un ensemble cohérent sur le plan visuel ou culturel : l’Est est associé à la mer, le Nord au désert peuplé de chameaux, le Sud au fertile delta du Yangzi [Yang-tseu], l’Ouest aux marches que constituent le Sichuan et le Tibet ; la section du Milieu, qui compte six poèmes, ne comporte pas de lieu matériel. Parallèlement, sans tenir compte là non plus de certains retours en arrière dans le temps, on peut repérer une succession de saisons : l’automne, l’hiver, puis le printemps.

Plus qu’un voyage réel que l’on s’emploierait à retranscrire, qu’il s’agisse de celui de Segalen ou de Pang Pei, il s’agit d’un voyage symbolique. Dans un premier temps, on croit pouvoir dégager trois pôles distincts : la mer — ou l’eau de façon générale — est associée à la naissance ; la terre en revanche est liée à la mort ; le désert enfin est l’espace de la souffrance :

海洋是我的襁褓

陆地是我的断头台

沙漠是我的心迹

Les océans sont mes langes

La terre ferme est ma guillotine

Le désert est l’empreinte de mon cœur (29, 43-5)

Toutefois, la mer, comme le désert peuvent aussi être le lieu d’une expérience douloureuse ; ainsi, à son arrivée, le poète imagine « habiter sur la cime d’un grand arbre » (我想住到 […] 大树冠) car il se souvient de « l’étrange amertume du temps du voyage en mer » (海上旅行时的痛苦新奇). On doit donc considérer que les trois pôles que nous avons distingués — la mer, la terre et le désert — n’en forment qu’un, celui du Réel, avec ses contradictions, du moins ce qui nous apparaît comme des contradictions, mais qui, dans une perspective bouddhiste, forme un tout qui relève de l’illusion, car la naissance et la mort sont avant tout souffrance (duḥkha, en chinois 苦), comme l’enseigne Bouddha dans son premier sermon, le Sūtra de la mise en mouvement de la roue du Dharma[5] (Zhuănfălún jīng 转法轮经) :

La naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance.

生是苦、老是苦、病是苦、死是苦。

À ce premier pôle s’oppose celui que constituent les « hauts plateaux », qui occupe toute la fin du recueil, c’est-à-dire l’Ouest. Il s’agit d’un « pays idéal » :

天堂一般,不食人间烟灰

山峰,像被镌刻在

神奇的电影胶卷上

Comme au Paradis, on n’y mange pas la nourriture cuite des hommes

Les pics montagneux semblent avoir été gravés sur

La pellicule d’un film magique (55, 5-7)[6]

Ce « pays idéal », c’est bien entendu le Tibet. Il s’agit d’un pays originel. S’adressant à une jeune Tibétaine, le poète dit : « Tu viens des hautes montagnes, les toutes premières sur terre » (你来自大地上最初的高山, 54, 2). Le pays idéal est en fait associé à une forme d’âge d’or, où tous les éléments naturels communiquent de façon harmonieuse :

热热的稻田香

在一片蕨叶上

水由“龙”和“凤”两字组成

一只鸟和一棵树说话

声音哑哑的,那是早晨还没发育的小树

Le parfum de la rizière toute chaude

Se répand sur les feuilles des grandes fougères

L’eau est formée des deux caractères Dragon et Phénix

Un oiseau et un arbre se parlent

Yaya, un bruit ténu : c’est, tôt le matin, un petit arbre qui n’a pas encore grandi (56, 11-5)

Les hommes participent à aussi cet ordre naturel, en communion avec la nature :

曾经,在亿万年前的昨日

她们和神山相视一笑

彼此凝望

颔首会意

Par le passé, à la veille de millions et de milliers d’années

[Les jeunes Tibétaines] et les montagnes sacrées se rencontrent et se sourient

Se fixant du regard

Se comprennent d’un hochement de tête (53, 11-4)

Enfin le pays idéal se caractérise par sa spiritualité :

神灵多得就像家里的新戚一样

Les esprits sont tellement nombreux qu’on dirait des parents proches de la famille (55, 15)

En définitive, l’espace du voyage tel qu’il est représenté dans le recueil de Pang Pei est structuré par ces deux pôles symboliques, que l’on peut associer, pour être fidèle à la pensée de Segalen, aux deux pôles du Réel et de l’Imaginaire, mais qui, comme nous l’avons déjà signalé, peuvent aussi se comprendre dans une logique bouddhique : le monde de poussière d’une part (la mer, la terre et le désert), associé à la souffrance, et le monde idéal d’autre part (les hauts plateaux), associé à la simplicité, l’immédiateté, la communion avec la nature et la spiritualité. Bien entendu, Segalen, qui entretient des rapports complexes avec le bouddhisme, n’aurait sans doute pas souscrit à cette interprétation. Le voyage décrit par Pang Pei est en fait une initiation à l’éveil (bodhi, en chinois 悟), c’est-à-dire à la prise de conscience de l’illusion du réel, à la pleine conscience de l’impermanence.

Le thème de l’impermanence est sensible à travers certains motifs comme la « pagode » (en soi un bâtiment bouddhique) qui « s’effondre » et devient « poussière » :

我的到达仿佛一幢轰然倒塌的砖塔

塔高九级。在第一个百年

一座隆起的废墟

慢慢风华。在第三百年

化身为尘埃

Mon arrivée semble une pagode en briques qui s’effondre dans un fracas assourdissant

Une pagode à neuf étages. Lors des cent premières années

Une haute ruine

Lentement érodée par le vent. Lors des trois cents premières années

Elle est devenue poussière. (6, 2-6)

En l’occurrence, c’est la disparition du bâtiment qui révèle l’impermanence, faisant écho au poème de Stèles « Aux dix mille années ». Mais ce peut être aussi bien la lumière, la couleur, ou encore le mouvement, images classiques de l’illusion dans la tradition bouddhique :

所有人间的灯火、城镇、闹事、宫殿……

都迂回、湍急、咆哮——

辽阔的乡土宛似苦涩浪沫

簇拥在浮云脚下

Toutes les lumières du monde humain, les villes, les bourgs, les palais…

Tout tourne, s’agite, rugit —

La vaste campagne est pareille à l’écume amère des vagues

Formant escorte au pied des nuages flottants (29, 35-8)

Le mouvement est ici, précisément, flottement (浮), image souvent employée pour désigner l’impermanence dans le vocabulaire bouddhique, mais que l’on retrouve dans la stèle « Départ » pour décrire l’Occident miraculeux vers lequel se dirige l’empereur : « avec ses palais volants, ses temples légers, ses tours que le vent promène » (OC, II : 57). La notion d’impermanence peut aussi se comprendre dans une logique taoïste, comme dans ce vers :

我像树一样恪守无常

Je suis comme l’arbre qui observe strictement l’impermanence (25, 15)

Certes le mot d’impermanence (wúcháng 无常) renvoie apparemment à la doctrine bouddhique, mais il signifie littéralement le « non-constant », et peut désigner le processus de transformation à l’œuvre dans la nature, processus qui comprend la naissance et la mort, et qui, dans la perspective taoïste, n’est pas associé à une souffrance dont il faut se « délivrer », mais à l’ordre naturel, auquel se conforment l’arbre et le poète.

De façon plus inattendue, la notion bouddhique d’impermanence est formulée par le détour de la Bible :

我所携带的一切皆属空无

旅行者的人,是一座废墟

“人是尘土,必归于尘土……”

Tout ce que je porte relève du vide

L’homme qui voyage, ce sont des ruines

« L’homme est poussière et retournera à la poussière… » (47, 29-31)

Pang Pei cite la Genèse (3:19), mais le mot chén尘, la « poussière », est aussi utilisé dans la tradition bouddhique pour désigner le monde illusoire.

Ce voyage initiatique devient voyage paradoxal quand l’illusion s’applique au voyage lui-même dont on remet en cause l’existence. La réalité du voyage est interrogée dès le premier poème :

有什么证明我白衣飘飘

曾在海上旅行?

我有过开始吗?

Qu’est-ce qui prouve que je flotte dans les airs en habit blanc

Que j’ai navigué en mer ?

Est-ce que j’ai pris le départ ? (1, 1-3)

Le même doute est exprimé au cours du recueil :

我途径的地方,我从未到达

En tous ces lieux où je suis passé, je ne suis jamais arrivé (45, 27)

… et à la fin du recueil :

我好像正在回家,甚至

从未出发启程

始终是旅行意图而非

旅行本身。

我从未到达任何地点

Au moment où je rentre chez moi, il me semble même

Que je n’ai jamais pris le départ […]

Du début jusqu’à la fin c’est l’intention du voyage plutôt que

Le voyage en soi qui compte […]

Je ne suis jamais arrivé nulle part (52, 2-3, 8-9 et 12)

On perçoit comment le voyage réel, celui que Segalen effectue en 1909 et qu’il rapporte cette année-là dans les lettres adressées à sa femme, devient, sous la plume de Pang Pei, un voyage imaginaire, symbolique, initiatique et paradoxal. Mais il serait faux de croire que le poète chinois surimpose son propre univers à celui du poète français, il accentue simplement certaines orientations que Segalen ne renierait pas. En effet, d’après la profession de foi qu’il formule dans sa lettre à Claudel datée du 15 mars 1915, Segalen partage avec Pang Pei une forme d’adhésion à l’idée d’un « grand illusionnisme du monde » qui caractérise le « bouddhisme primitif », mais tout aussi bien le taoïsme, qui est à l’origine d’une « vision ivre » du monde conçu comme « illusoire et beau » (C, II : 564-5). Ainsi s’opère une véritable rencontre entre deux poètes dont les univers fonctionnent en miroir l’un avec l’autre : au portrait, imaginaire, de Segalen répond l’autoportrait de Pang Pei.

Autoportrait de Pang Pei en poète néo-romantique

Pang Pei apparaît d’abord comme un poète « lyrique ». C’est le qualificatif qui revient le plus souvent dans la critique (sur internet) à son propos. En 2009, Huang Liang (黄粱) écrit un article intitulé « Pang Pei, un poète lyrique et grave » (庄重的抒情诗人──庞培). De même, s’adressant au poète, Bai Hua affirme : « Ce qui fait ta singularité, c’est un fin pinceau lyrique, rempli d’ardeur » (你个人徽记的饱满热忱之抒情细笔). En effet, le recueil associe à plusieurs reprises l’expression poétique à l’expérience de la souffrance ou du chagrin, comme dans la tradition romantique :

人察省自己的悲伤

On examine son propre chagrin (2, 8)

我在纸上一遍遍抄写我的忧伤

Partout sur le papier je transcris mes blessures (5, 10)

用悲伤做的船工号子

Avec la douleur on fait un chant de marin (42, 4)

Pang Pei semble ainsi reprendre à son compte la célèbre formule de Musset dans la Nuit de mai :

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,

Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.

Il renoue aussi avec une des traditions littéraires de la Chine républicaine, qui, dans les années 1910-20, intègre à la fois le réalisme et le romantisme européens, pour, bien entendu les adapter et les transformer à son propre terreau. Si le romantisme connaît un écho chez certains écrivains, c’est sans doute en raison de la situation historique instable et fragile qu’ils connaissent alors, mais c’est aussi en lien avec des aspirations plus constantes dans l’histoire intellectuelle de la Chine :

Individualisme et subjectivisme, culte de la nature et amour de la poésie, révolte et liberté, toutes ces valeurs propres au romantisme ont pu d’autant plus facilement gagner le cœur des jeunes [Chinois des années 1910-20] qu’elles touchent certaines fibres dans la profondeur de la mentalité chinoise : elles correspondent aux valeurs non conformistes et anti-confucianistes incarnées dans la tradition par l’esprit taoïste et bouddhiste. (Zhang 1992 : 23-4)

Effectivement, si Pang Pei peut être qualifié de poète néo-romantique, ce n’est pas seulement pour la dimension lyrique de sa poésie, et plus particulièrement pour le lien qu’il semble établir entre la douleur et la création poétique, c’est aussi pour deux autres caractéristiques manifestes dans son écriture : l’attention à la nature et la révolte politique.

Le poète est à l’écoute de la nature :

我远行的一生是为追寻一种天青色的天籁

Ma vie de voyage consiste à rechercher une sorte de son naturel qui ait la couleur bleue du ciel (23, 5)

On retrouve là à la fois le courant romantique européen de la Naturepoesie et la tradition poétique chinoise qui explore les correspondances entre le cœur ou les sentiments d’une part (qíng情) et le paysage naturel d’autre part (jĭng景), ce que le lexicographe des Song Zhang Yan (张炎, 1248-1320) a résumé dans la célèbre formule de son Dictionnaire (Cíyuán词源) : « Paysage et sentiments se confondent » (情景交融), et que le philosophe et critique Wang Fuzhi (王夫之, 1619-92) a théorisé au XVIIe siècle en ces termes :

情景名为二。而实不可离。[…] 巧者则有情中景。景中情。

Sentiment et paysage sont deux mots distincts, mais en réalité ils sont indissociables. […] L’art est accompli quand il y a un paysage dans les sentiments ou bien des sentiments dans un paysage. (Voir Owen 1992 : 472)

Dans La Valeur allusive, François Jullien établit un lien, qu’il discute et conteste en partie, entre la poétique romantique allemande formulée par Schelling et la poétique chinoise formulée par Liu Xie (刘协, c. 465-c. 521) (voir Jullien 2003 : 54-5) ; par la suite, il rapproche les deux traditions poétiques définies toutes deux comme une « représentation […] surgie spontanément d’une incitation de l’émotion » (185). Pang Pei s’inscrit dans cette double tradition poétique, attentive à la nature.

Dans les lettres de Segalen ainsi que dans ses journaux, il y a bien des évocations de la nature, mais elles sont moins présentes dans sa poésie, à part dans les stèles du Bord du chemin. Le recueil de Pang Pei en est rempli :

树身被初升的太阳温暖

凉风,在苍白霜迹上

吹拂朝霞。白昼压向秋天柔软的枝头

如用旧了的枕席被抽离

Les troncs sont réchauffés par le soleil qui se lève

Un vent frais souffle sur les traces ténues du givre

Et pousse les nuages roses de l’aube. Le soleil matinal presse le bout des branches souples de l’automne

Comme quand on retire une taie d’oreiller qui a longtemps servi (17, 15-8)

Ou encore :

随着朝阳

新的一天在眼前

我激动地扶着

甲板上的栏杆

这奇迹降临的一天!

仿佛最美的肉感

仿佛果实正在绽裂

仿佛村庄获得了丰收

Avec le soleil du matin

Un nouveau jour devant mes yeux 

Ému, je me tiens

Au bastingage sur le pont

Merveille que ce jour qui advient !

Pareil au charme physique de la beauté

Pareil à un fruit en train de s’ouvrir

Pareil à un village qui a obtenu une récolte abondante (44, 5-12)

À la faveur des répétitions, des motifs fonctionnent comme des totems, c’est-à-dire comme des êtres ou des manifestations naturels que l’on relie de façon intime à soi-même. Ainsi les criquets :

一只蟋蟀在秋夜草丛

轻声安慰我:

啊,你这名过路人

虫腹里的诗人

Un criquet dans un bosquet par une nuit d’automne

Le son léger me console :

Ah, toi, le passant

Le poète, avec un insecte dans le ventre (32, 1-4)

La nature représentée par le criquet passe de l’extérieur (jĭng 景) à l’intérieur (qíng 情), pour devenir source de poésie. De même, la pluie, très présente tout au long du recueil, accompagne le voyageur au début et à la fin du poème 49 :

树林落下一场雨……

雨啊,我的兄弟 […]

雨啊,我和你——我们心心相印!

Sur la forêt tombe la pluie

Ô pluie, ma sœur [lit. mon frère] […]

Ô pluie, toi et moi — nos cœurs se répondent l’un l’autre (v. 1-2 et 11)

Le poète que Pang Pei met en scène rappelle le poète ermite plongé dans la nature de la tradition taoïste (comme par exemple Tao Yuanming) :

他每天只是担水、舂米

在松林里辟开一块地,种菜

我是这样的诗人

赤脚在山中石经

和林中跳荡的阳光一起问候

Chaque jour il [le poète] ne fait que porter l’eau, piler le riz

Ouvrir la terre dans une forêt de pins, y semer des légumes

Je suis ce genre de poète

Pieds nus sur un sentier de pierre dans la montagne

Je salue le soleil dont l’éclat vibre dans la forêt (4, 3-7)

Nous traduisons par vibre le mot tiàodàng (跳荡) qui désigne en fait la pulsation du cœur humain comme de la nature tout entière : conformément à la tradition taoïste, le poète est celui qui communie avec la nature d’un même rythme vital.

À une seule occasion, nous semble-t-il, cette attention à la nature prend un accent beaucoup plus moderne, écologique. Le poète se situe dans le « désert » au nord de la Chine, et déplore le phénomène de la déforestation :

树林深处千古的贫困

宛似泉边伫立的瞪羚的眼睛

Appauvrissement en profondeur et depuis des siècles de la forêt

Comme le regard d’une gazelle qui s’est immobilisée à côté d’une source (12, 15-6)

Le propos revêt alors une coloration politique, tonalité qui n’est pas absente du recueil, ce qui nous conduit à proposer un troisième qualificatif pour compléter l’autoportrait de Pang Pei : le révolté. L’expression de la révolte est néanmoins toujours allusive, conformément à la tradition poétique chinoise, qui privilégie l’allusion à l’expression directe, mais également en lien avec le contexte chinois contemporain. Ainsi, dans ce passage, peut-on lire un commentaire désolé sur l’histoire récente de la République de Chine :

儿时院房被洪水冲垮

后世曾修复,又倒塌

如同其他中国普通的百姓

生活在废墟中

Dans [mon] enfance la maison avec cour a été dévastée par une inondation

Les générations suivantes l’ont reconstruite, elle s’est de nouveau effondrée

De même que le peuple ordinaire du reste de la Chine

Vit au milieu des ruines (31, 3-5)

Plus particulièrement, Pang Pei semble bien dénoncer le sort qui est fait au Tibet et à son peuple :

我的心脏不行了

承受不了高原肆虐的风 […]

乱卷的乌云下面

世世代代的黑暗

Mon sang et mon cœur défaillent

Et ne supportent pas les vents qui ravagent les hauts plateaux […]

Sous les nuages sombres qui s’enroulent en désordre

L’obscurité pour de nombreuses générations (44, 3-4 et 23-4)

D’autres passages, comme les deux vers suivants, semblent se référer tout d’abord à la Chine du début du XXe siècle, celle de la fin d’un empire, celle que Segalen met en scène dans son roman Le Fils du Ciel :

身下一处黑暗的庭院

触须碰着一个飞出的皇位

Au-dessous, une cour sombre

Les antennes [du criquet dont il est question au début du poème] heurtent un trône laissé vacant

Mais on peut aussi y lire une allusion aux temps incertains, sur un plan spirituel ou politique, que connaît la Chine à l’ère de la « modernisation » et de l’« ouverture ».

Un poème anamorphique

Nous avons jusqu’ici traité séparément les portraits de Segalen et de Pang Pei en essayant de dissocier ce qui revenait à l’un (les figures de l’érudit, du héros et du voyageur) et à l’autre (le poète néo-romantique), mais, à la lecture, ce que l’on constate, c’est le caractère le plus souvent indissociable des deux figures mises en scène dans le recueil. Aussi celui-ci fonctionne-t-il comme une anamorphose, c’est-à-dire comme une image que l’on peut interpréter de deux façons selon l’angle de vision adopté ou selon la disposition mentale dans laquelle on se trouve. À côté des poèmes (que nous avons cités) où le doute n’est pas possible, car l’on sait de qui il s’agit, soit Segalen soit Pang Pei, il en existe d’autres où se juxtaposent deux actes dont l’un appartient à Pang Pei et l’autre à Segalen :

一大早

我抱着《圆觉经》

像抱着你年轻火热的身子

啊!玛沃娜

Tôt le matin

J’embrasse le Sūtra de l’éveil parfait

Comme j’embrasse ton corps jeune et brûlant

Ah ! Mavone (8)

Mavone renvoie bien entendu à Segalen tandis que le texte bouddhique appartient à l’univers de Pang Pei ; pourtant les deux actes sont reliés par le mot xiàng 像, « comme », et par le parallélisme. Le procédé de la juxtaposition est répété lorsque l’on met en parallèle le chant du coq rappelant l’enfance en France et le tintement des clochettes accrochées aux toits de pagodes, qui rappelle l’enfance dans le Jiangnan (voir le poème 12, 63-7).

D’autres passages relèvent non plus de la simple juxtaposition, mais de la fusion proprement dite, lorsqu’on ne peut savoir à qui, de Segalen ou Pang Pei, rapporter l’expérience décrite, par exemple dans le poème 24, où le je fait place au nous :

[…] 雾中露出一个北方村落

一堵短小、粗笨的石墙

我曾经在这里。我们的旅行

绽放在墙脚 […]

[…] Dans la brume apparaît un hameau du nord

Un petit mur de pierre mal façonné

J’ai été en ce lieu. Notre voyage

S’épanouit au pied du mur […] (24, 3-6)

Le plus souvent, cette fusion est rendue possible par le caractère général ou abstrait, ou bien par la relative imprécision des actions rapportées. En réalité, au fil de la lecture, on ne se pose plus la question de savoir s’il s’agit de Segalen ou de Pang Pei car l’on comprend que non seulement les personnes, mais les temps et les lieux se confondent, comme l’explicite ce vers :

行道、时间、族系……层层缠绕

Les routes, les périodes, les liens de parenté… s’enroulent couche sur couche (31, 7)

Le fonctionnement anamorphique du recueil qui repose sur les procédés de juxtaposition, de superposition et de confusion, donne lieu à un style poétique moderniste, qui vient corriger en quelque sorte l’image du poète romantique à laquelle nous avons associé Pang Pei. Un peu à la façon d’Apollinaire dans Zone, de Cendrars dans la Prose du transsibérien ou encore d’Ezra Pound dans les Cantos, le style de Pang Pei est fait d’éclats fragmentés, dont voici un exemple :

牧童骑在牛背上

我的牧童短歌

我的水手飘洋曲

我的深山潜修

我的尘世的爱情

我的辗转醒来

我的黑夜

我的黎明

Un jeune bouvier monte sur le dos d’un buffle

Mes ballades de bouvier

Mes chants de marin traversant l’océan

Mes retraites au fond des montagnes

Mon amour pour le monde de poussière

Mon réveil agité

Ma nuit noire

Mon aube (29, 18-25)

Le poème semble un flux de conscience déclenché par la vue ou la vision initiale du bouvier.

Mais plus qu’un style, cette « confusion » constatée à la lecture entre les expériences de l’un et l’autre poètes renvoie à un parti pris, voire à une position philosophique. Il s’agit du principe de l’indifférenciation, emprunté au taoïsme :

夫道未始有封,言未始有常,為是而有畛也。請言其畛:有左,有右,有倫,有義,有分,有辯,有競,有爭,此之謂八德 […]。

Dans le Dao il n’y a jamais eu fût-ce un début de délimitations, pas plus que dans le langage un début de permanence. Dès que l’on dit « c’est cela », il y a limite. Si vous permettez, je vais vous dire ce qui limite : gauche et droite, analyses et jugements, découpages et distinctions, débats et polémiques […]. (Zhuangzi, 2, traduit par Cheng 1997 : 111-2)

Le Dao (dào 道) peut se définir très sommairement à la fois comme la vérité et l’origine, mais surtout comme le stade d’avant la différenciation opérée en particulier par le langage. Il se caractérise donc par ce principe d’indifférenciation qui, dans ce passage du Zhuangzi (庄子), est formulé à travers une série de métaphores : le fief (fēng封, traduit par « délimitation ») et, par extension, la limite d’un territoire, ou la levée de terre délimitant les champs entre eux (zhĕn 畛) ; c’est en fait le mot fēn (分), employé dans l’énumération et traduit par « découpage », qui traduit le mieux la notion abstraite de différenciation qui, dans une perspective taoïste, est source de disputes et de conflits entre les hommes.

Mais ce principe d’indifférenciation est en quelque sorte réactivé, dans un des premiers poèmes du recueil de Pang Pei, par une allusion à la fameuse formule de Rimbaud « Je est un autre ». Mais, alors que la phrase de Rimbaud est généralement traduite ainsi : « 我是一个他者 », le poète chinois utilise une formulation légèrement modifiée : 《我是另一个我》(4, 1), c’est-à-dire « Je suis un autre moi » ou « Je est un autre je » puisqu’en chinois la distinction entre la forme atone et la forme tonique du pronom (je/moi) n’existe pas, et que le verbe ne se conjugue pas avec le sujet. On note dans l’extrait cité qu’après la formule rimbaldienne, on passe du je au il pour revenir finalement au je, dans une logique d’indifférenciation :

我是另一个我

我是一个住在寺庙里的中国诗人

他每天只是担水、舂米

在松林里辟开一块地,种菜

我是这样的诗人

赤脚在山中石经

和林中跳荡的阳光一起问候

Je suis un autre moi

Je suis un poète chinois qui habite dans un temple

Chaque jour il ne fait que porter l’eau, piler le riz

Ouvrir la terre dans une forêt de pins, y semer des légumes

Je suis ce genre de poète

Pieds nus sur un sentier de pierre dans la montagne

Je salue le soleil dont l’éclat vibre dans la forêt (4, 3-7) (4, 1-7)

Par la suite dans le recueil, Pang Pei énonce une formule complémentaire — « Tu as été moi » (你曾经是我, 37, 5) —, qui vient confirmer le processus d’indifférenciation. À la fin du poème enfin, quand le poète reprend la mer, l’incertitude demeure à propos de son identité :

海水在问:我是谁?

La mer me pose [cette] question : qui suis-je ? (57, 24)

Mais l’indifférenciation ne se limite pas aux deux poètes, Pang Pei et Segalen, elle s’étend à d’autres êtres naturels comme les oiseaux :

你曾经是我

你曾是枝头那只小鸟

Tu as été moi

J’ai été cet oiseau sur la branche (37, 5-6)

… la pierre :

我要留在古代的庭院,像一小块

破碎的瓷片 […]

我看见的一个灵魂

是青石的井栏

Je voudrais rester dans les jardins de l’antiquité, comme un petit

Tesson de porcelaine brisée […]

L’âme que je vois

Est une margelle de puits en pierre bleue [pierre calcaire notamment dans le Nord de la France et en Belgique, appelé parfois « petit granit »] (43, 2-3 et 5-6)

… et à toutes sortes d’objets :

我是一座被砌的古塔

是古画被磨损的一角

是佛教教义或论文

是讲经、转法

是他们的新生

冰冷光滑的镜子

是爱情惊人的萌芽 […]

Je suis une ancienne pagode que l’on a édifiée

Le coin d’une ancienne peinture que l’on a déchiré

La doctrine du bouddhisme ou un traité

La récitation des sūtras, la transmission de la Loi

Leur renaissance

Un miroir glacé et lisse

Je suis le germe des désordres amoureux […] (12, 28-34)

En définitive, les Lettres de Chine, qui figurent bien dans le titre du recueil, sont un simple point de départ pour Pang Pei, qui opère une sorte de synthèse entre cette correspondance, mais aussi Stèles, Équipée, et l’Essai sur l’exotisme. Surtout, Pang Pei fait entendre un double chant où les voix de l’un et l’autre poètes, reformulées l’une et l’autre dans l’imaginaire, se mêlent de façon indissociable. Dans cette rencontre, les deux poètes se complètent plus qu’ils ne s’opposent : l’un est attentif à la culture de la Chine classique et l’autre à la nature des paysages chinois. La rencontre est celle d’un savoir livresque et d’un savoir plus immédiat :

书籍,阳光 […] 我的俩的恋情

Les livres, le soleil […] mes deux passions (39, 1 et 4)

Cette rencontre poétique s’explique au fond par le fait que les deux poètes se situent à un moment critique de l’histoire de la Chine : Segalen découvre un empire qui disparaît, Pang Pei, du fait de la « modernisation », voit disparaître la Chine de son enfance à laquelle il fait très souvent référence dans le recueil, ainsi que la Chine ancienne et républicaine qu’il n’a jamais connue que dans les livres. Aussi les deux poètes adoptent-ils un même ton mélancolique, peut-être en écho à une figure qui est sans cesse présente en filigrane tout au long du recueil, comme dans cette dernière citation :

踩着比任何生命都更加孤寂的沙滩

听着潮水声中,我年幼的心跳

我对人世的告别……

Je foule une plage de sable encore plus solitaire que n’importe quelle existence

En écoutant le bruit des vagues, mon cœur de jeune homme bat

C’est mon adieu au monde…

… celle du poète Qu Yuan (屈原, c. 340–278), associé au voyage à la fois réel et imaginaire, ainsi qu’à l’exil.

 

 

  • Bibliographie

L’article porte sur le recueil suivant : 庞培,《谢阁兰中国书简》,阿米巴独立文化设 / Páng Péi, Xiè Gélán Zhōngguó shūjiǎn, Āmǐbā dúlì wénhuà shè / Pang Pei, Lettres de Chine de Segalen, s.l.n.d., éditions indépendantes Amiba, pas de pagination.

Bai Hua 2012 : 柏桦, 《读庞培“谢阁兰中国书简”》, 《中国南方艺术》, 2012年9月28日 / Băi Huà, « Dú Páng Péi “Xiè Gélán Zhōngguó shūjiăn” », Zhōngguó nánfāng yìshù, 2012 nián 9 yuè 28 rì / Bai Hua, « En lisant Lettres de Chine de Segalen de Pang Pei », Les Arts de la Chine du Sud, 28 septembre 2012 (Lien sur Nánfāng yìshù 南方艺术, 15/08/2021).

Cahiers Victor Segalen, n° 3, Bei Huang et Philippe Postel (éd.), Lectures de Chine, Paris, Honoré Champion, 2017.

Chen-Andro 2014 : Chantal Chen-Andro, Le Ciel en fuite, anthologie de la nouvelle poésie chinoise, Circé, « Poésie », 2004.

Cheng 1997 : Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Le Seuil, 1997.

Huang Liang 2009 : 黄粱, 《庄重的抒情诗人──庞培》(诗论), 《自由写作网刊》, 2009年5月20日 / Huáng Liáng, « Zhuāngzhòngde zhùqíng shīrén — Páng Péi » (Shīlùn), Zìyóu xiĕzuò wăngkān, 2009 nián 5 yuè 20 rì / Huang Liang, « Pang Pei — un poète lyrique et grave » (Poésie), Revue numérique Écriture libre, 20 mai 2009 (Lien sur Chinesepen, 15/08/2021).

Owen 1992 : Stephen Owen, Readings in Chinese Literary Thought, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, « Harvard-Yenching Institute monograph series », 1992. Dans cette anthologie commentée d’écrits sur la poésie, Owen traduit le texte de Wang Fuzhi intitulé « Xītáng yŏngrì xùlùn » (夕堂永日绪论), p. 451-91.

Pang Pei 2012 : 庞培, 《诗人心里都有一个“理想国”》,《诗人文摘 》,《 新浪博客》,2012年3月23日 / Páng Péi, « Shīrén xīnlĭ dōu yŏu yíge “lĭxiăng guó” », Shīrén wénzhāi, Xīnlàng bókè, 2012 nián, 3 yuè, 23 rì / Pang Pei, « Dans le cœur des poètes il y a un “pays idéal” », Extraits d’articles de poètes, Sinablog, 23 mars 2012 (Lien sur Sina Xīnlàng wăng 新浪网, 15/08/2021).

Su Dongpo 2004 : Un Ermite reclus dans l’alcool et autres rhapsodies, présentation et traduction de Stéphane Feuillas, Paris, Caractères, « Majeures », 2004.

Zhang 1992 : Yinde Zhang, Le Roman chinois moderne, 1918-1949, Presses universitaires de France, « Écriture », 1992.

  • Contributeur

Philippe Postel est maître de conférences HDR en littératures comparées à l’Université de Nantes. Ses domaines de recherches sont Victor Segalen, la mythocritique asiatique, les études de traduction littéraire, le roman classique en Europe et en Chine, la littérature et cinéma.

  • Bibliographie de l’auteur

Victor Segalen et la statuaire chinoise. Archéologie et poétique, Champion, « Bibliothèque de littérature générale et comparée », 2001.

Édition critique de la Correspondance de Victor Segalen, Fayard, 2004.

Edition critique de Chine. La grande statuaire de Victor Segalen, Champion, « Textes de littérature moderne et contemporaine », 2011.

Les Vaillants d’Akô, Le mythe des Quarante-sept rōnins au Japon et en Occident, Classiques Garnier, « Perspectives comparatistes », 2019.

[1] C’est Pang Pei lui-même qui, dans un entretien qu’il a bien voulu m’accorder en mai 2019, s’est souvenu de ce poème, dont nous donnons un extrait. Le poème de Su Shi date de 1075 : il revoit sa première femme en rêve, morte dix ans auparavant, à l’âge de 26 ans. Je donne la traduction de Wing-fun Cheng et d’Hervé Collet : Su Tung Po, l’hôte de la pente de l’est, fumée du Lu shan, marée du Che kiang, Millemont, Moundarren, 1986, sans pagination. L’entretien avec Pang Pei a été rendu possible grâce à Bei Huang, qui lui a transmis mes questions et qui a traduit ses réponses.

[2] Les Lettres adressées par Victor Segalen à sa femme Yvonne ont été publiées sous le titre Lettres de Chine, tout d’abord chez Plon en 1967, puis dans la collection « 10/18 » en 1993. Elles ont bien entendu été rééditées dans la Correspondance générale, publiée chez Fayard en 2004, à laquelle nous nous réfèrerons. Cet ensemble a été traduit : 谢阁兰著,《谢阁兰中国书简》,邹琰译,上海,上海书店出版社,2006年 / Xie Gelan zhù, Xie Gelan Zhōngguó shūjiăn, Zou Yan yì, Shànghăi, Shànghăi shūdiàn chūbănshè, 2006 nián / Segalen, Lettres de Chine, traduction de Zou Yan, Shanghaï, Shanghai shūdiàn chūbănshè, 2006.

[3] Dans cette édition : 谢阁兰著, «碑», 车槿山、秦海鹰译注, 北京, 读书 生活 新知三联书店,

1993 年 / Xie gelan zhù, Bēi, Che Jinshan, Qin Haiying yìzhù, Bĕijīng,

Dúshū shēnghuó xīnzhī sānlián shūdiàn, 1993 nián / Segalen, Stèles, traduction et

annotations de Che Jinshan et Qin haiying, Pékin, dushu shenghuo xinzhi sanlian

shūdiàn, 1993.

[4] 谢阁兰著, «出征 : 真国之旅», 李金佳译, 上海, 上海书店出版社, 2010年. /

Xie gelan zhù, Chūzhēng : zhēnguó zhi lǚ, Li Jinjia yì, Shànghăi, Shànghăi shūdiàn chūbănshè, 2010 nián / Segalen, Équipée : Voyage au pays du réel, traduction de Li Jinjia, Shanghaï, Shanghai shudian chubanshe, 2010.

[5] Il s’agit d’un discours transmis oralement pendant des siècles, puis transcrit dans plusieurs versions, notamment en pali, sous le titre de Dhammacakkappavattana Sutta : c’est le texte traduit ici (voir sur le site Buddha Vacana, la traduction sur la page http://www.buddha-vacana.org/fr/sutta/samyutta/maha/sn56-011.html). Le texte chinois est une traduction ultérieure.

[6] Voir aussi l’article de Pang Pei, « Dans le cœur des poètes il y a un “pays idéal” » (Pang Pei 2012).